2020 / chapitre 32

Le monde englouti (J. G. Ballard). La lecture de Ballard me fait songer à ces images stéréoscopiques, sur deux plans, qui imitent un faux relief : les personnages agissent de manière peu compréhensible devant des décors dont ils sont un élément ; ils bougent, mais au final ont été immobiles, jouets d’un égarement intérieur qui se mêle aux paysages. Ils évoluent à la jonction du dedans et du dehors. Ils sont en prise avec le temps écoulé et avec le temps à venir. J’avais souvenir d’un roman prenant ; je le trouve maladroit, ça piétine, ça gesticule beaucoup, pour livrer des scènes assez grotesques. OK, il se démarque des apocalypses habituelles, OK, sans doute Ballard se cherche-t-il (c’est son deuxième roman). Mais c’est confus et je ne suis pas certain qu’il y ait eu le travail éditorial nécessaire. J’ai l’intuition que c’est un bouquin au mieux mal traduit (phrases au sens douteux, répétitions) et au pire un bouquin gesticulant pénible à lire. Ballard est à la peine, côté narration. Sera-t-il, comme Kipling, meilleur novelliste que romancier ? Il reste que les causes de l’affaire sont amusantes : Pourtant, je suis convaincu que, en retournant dans le temps géophysique, nous remontons le couloir amniotique et réintégrons, en passant par une ère spinale, le temps archéophysique. (p. 53). Pour utiliser le langage symbolique de la théorie de Bodkin, il était en train d’abandonner ses estimations conventionnelles du temps, relatives à ses propres besoins physiques et entrait dans le monde de l’infini, le temps neuronique. (p. 59). C’est toute la planète qui est en train de revenir rapidement à la période mésozoïque. — Précisément, […] nous y retournons également. Ceci est notre zone de transit. (p. 113). les immeubles vidés comme des poissons (p. 157).

La tentation d’abdiquer devant la limitation ressentie par son propre esprit des limites de son propre esprit.

Les faits surviennent toujours trop tard.

La question n’est pas tant : Qu’est-ce que la SF ? mais : Qu’est-ce que vous en feriez ?

Running wild (J. G. Ballard, 1988). Le plus terrifiant de l’affaire, ce n’est pas que les enfants ultra-choyés d’une résidence privée s’entendent tous pour assassiner leurs parents et disparaître, mais qu’avec l’évolution technologique des CCTV, aujourd’hui, ils ne le pourraient plus.

Chaque genre littéraire fonctionne comme la soupape d’autres genres fermés sur eux-mêmes.

La forêt de cristal (J. G. Ballard) La transformation ballardienne du monde est réussie, les causes de cette transformation subtiles et poétiques ; ses personnages sont là pour tarauder la fiction en s’agitant, cette agitation est rendue de manière toujours un peu idiote, pesante, sans tenants et aboutissants clairs, comme un tribut payé à un genre qui demande de l’action. Je n’ai jamais vraiment compris ce que faisaient ses personnages, à part montrer le délitement de l’activité, un sursaut réflexe sans objet. Ballard les travaille d’une drôle de manière. Ils n’accomplissent rien. Ils sont toujours englués dans les mêmes rapports avec les autres. Leur fonction narrative n’est pas de faire progresser l’intrigue – et d’ailleurs, il n’y a pas d’intrigue à proprement parler. Un satellite ayant traversé le ciel comme une balise de détresse. (p. 43).

Des quatre apocalypses ballardiennes, je sauverai Sécheresse pour le chassé-croisé des personnages, ses ellipses, sa description du littoral avec la tôle rouillée des véhicules. Le vent de nulle part est anecdotique. Le monde englouti est très brouillon. La forêt de cristal tient la route, mais certains passages comme le chapitre XI sont à peine lisibles, avec ces personnages qui se parlent en répétant sans cesse le prénom de leur seul interlocuteur. Pour l’heure, Ballard ne m’apparaît pas encore bon romancier ; par contre, il sait déjà être un dialoguiste médiocre. Les dits de ses personnages sont interrompues par des didascalies intempestives et systématiques. Romans, dit-on, où il se cherche dans le fond et sur la forme. Salutaires premiers écrits, car son exigence de ne pas faire dans un genre est là (échapper à la lecture pavlovienne qu’est la consommation de « genre », comme le dit Robert Louit).

Je pourrais finir en prison – si j’y mettais un peu du mien.

Something must be done about it Something must be done right now ’bout the silly people trying to run the world (John Cale, Model Beirut Recital)

Je ne suis ni ne cherche à être un expert en rien. Je n’ai pas de territoire de connaissances où j’en remontrerais à quiconque. Je ne suis pas mû par une curiosité monomaniaque. Je ne suis pas apte, en fait, à de tenir à disséquer une œuvre, une période, un thème, une place. Je ne subis pas la même vague de curiosité allant frapper et frapper un même endroit. Je ne suis pas bienveillant avec mon esprit. Je lui laisse de la corde. Il batifole. Je ne l’utilise pas comme une machine à extraire des faits, à collecter des facettes. Je ne lui accorde pas un rôle prépondérant. Il ne m’aidera jamais à affirmer ma raison face à autrui.

2020 / chapitre 32

2020 / chapitre 31

Covid : Vivement que le carcan économique et son dogme du chiffre disparaissent pour un retour à une saine barbarie et non plus un désordre ayant les figures de tous ces dirigeants corrompus, clivants et vindicatifs actuels. Entretuons-nous et survivons sans structures sociales affaiblies et combattues.

Gosh. Le Grand Prix de l’Imaginaire 2020 aux… pffffurtifs. Stratégie désespérée pour faire décoller les ventes ?

Un individu regarde son clone se faire dévorer vivant par un lion.

Sécheresse (J. G. Ballard). Aurait pu s’appeler Sécheresse à Hamilton. Bien que planétaire, et contrairement au Vent de nulle part, l’affaire est circonscrite géographiquement. La disparition du fleuve donne à voir la disparition du temps, son arrêt, son existence n’est plus que par fragments immobiles du passé. C’est Parménide dans la poussière.Désespérément poussif et elliptique. On suit des personnes dont on nous fait part de leurs motivations et de leurs pensées comme par émiettement. Nous les observons, ce sont des insectes qui nous sont déjà devenus étrangers, qui vont et viennent. L’intrigue est rongée, tout comme ces littoraux de voitures ensevelies par le sel. Je pense que c’est un roman né d’une impulsion. Soit le tableau de Guy Tanguy en est à la base, soit c’est ce à quoi Ballard s’est accroché pour écrire. La narration progresse par courts chapitres impulsifs, le révélateur d’une absence voulue de plan ou d’intrigue, de l’épuisement de l’idée de base, de sa dissolution par le texte, qui se désagrège lui-même. C’est une époque intéressante… rien ne bouge, mais tant de choses se passent. (p. 25). Et certaines scènes du roman font songer au désert matriciel de Crash !. C’était comme si sa face portait déjà des blessures d’un accident de voiture effroyable qui se produirait quelque part dans l’avenir. (p. 57). Ne te tracasse pas. C’est la ville. Elle est en feu. (p. 58). Il regarda les bateaux autour de lui. Sans ombre sous le soleil vertical, leurs structures arrondies semblaient avoir été rongées de partout, au point de ne conserver qu’un vague reste de leur identité originelle, comme les fantômes d’un univers lointain où les images vidées de sens gisaient dans les creux de quelque temps perdu. La lumière toujours égale et l’absence de mouvement donnaient à Ransom l’impression d’avancer dans un paysage intérieur où les éléments de l’avenir l’encerclaient comme les objets dans une nature morte, sans forme et séparée du monde. (p. 247). À la fin du roman, c’est exactement là que part le héros : À sa grande surprise, Ransom observa qu’il ne projetait plus lui-même d’ombre sur le sable, comme s’il avait enfin terminé son voyage sur les rives du paysage intérieur qu’il avait porté en lui durant tant d’années. (p. 316). Au prétexte d’une autre apocalypse par les éléments (le vent / l’eau), Ballard ne résiste pas à l’impulsion brouillonne, qui a pu lui apparaître à l’écriture, d’escamoter le temps. L’impression laissée par la lecture est plus appréciable que la lecture même. Impulsion et retrait, immobilisation : c’est le sentiment qui revient lorsque je repense aux bouquins de Ballard lus il y a des années. Régression, présent et projection se juxtaposent en manifestations statiques, immobiles.

Subsaharien ou Afrodescendant (Leonora Miano)

Parlant d’eux, Valentine, qui atteignait douze ans à ce moment de l’histoire, ôta le sucre d’orge de sa bouche et dit : — Qui sont-ils ? Des « entre-soi ». Un troupeau protégé par des forces de l’ordre, tous deux dénués d’affects. Des autocentrés à sang-froid bouffis d‘eux-mêmes créant des postes administratifs sans nécessité directe avec les affaires relevant du bien commun. Leur nomination à une responsabilité publique est une étape utile à leur carnet d’adresses. Ce sont des carriéristes de l’égo investis d’une mission simple : que notre futur soit un cauchemar stérile. Comment s’y prennent-ils? En antagonisant perpétuellement et délibérément les critiques à leur encontre. Ce sont les maîtres d’un cirque sinistre. Ils lâchent d’abord les clowns sur la foule, puis les dompteurs. Il n’y aura pas de post-Covid ni d’écroulement du système. Il y aura eux, qui auront œuvré pour leur propre survie en dépossédant les autres. Leurs agissements sont contraires à leurs déclarations. Il n’y a aucune droiture, aucune conviction, rien que soi noyant par sophisme les opinions défavorables. S’ils échouent dans la gestion d’une crise, le passé immédiat est aussitôt réécrit. Leur parole est une contre-vérité proférée sans souci de cohérence. Tout est nié. Ils se tiennent devant un cadavre et affirment : cette personne n’est pas morte. — Heureusement qu’ils ne disposent pas des médias pour délimiter le débat public à autre chose qu’eux-mêmes, se réjouit la chèvre de poussière. — Tu n’es qu’une nouille en terre crue, dit Valentine. (à insérer dans Mics-macs au Maquis)

Des sortes de voiles en plastique montent du sol et enrobent les gens.

V’là que j’ confond Aïd el-Kébir et Airbnb.

Le Grand Uber et le petit Uber.

Jamais je ne mettrais du rouge à lèvres sur mes ongles de pieds.

2020 / chapitre 31

2020 / chapitre 30

Certaines de mes personnalités sont schizophrènes, m’avoua-t-il.

Le mur invisible (Marlen Haushofer) Peut-être me suis déjà tellement éloignée de moi-même que je ne le remarque même pas. (p 52). Heureusement, cet état ne dura pas longtemps. Je l’avais déjà connu pendant la guerre, mais j’avais oublié combien il est terrible d’être à la merci d’un corps insatisfait. (p. 64). Je ne vois pas en quoi ce serait déshonorant de porter le fardeau imposé, comme n’importe quel animal, ni en fin de compte de mourir comme n’importe quel animal. (p. 88). Depuis mon enfance, j’avais désappris à voir les choses avec mes propres yeux et j’avais oublié qu’un jour le monde avait été jeune, intact, très beau et terrible. p. 245). Puisque personne n’était en vie qui aurait pu aimer ce visage, il me parut tout à fait superflu. (p. 269).

Le vent de nulle part (J. G. Ballard) « Mais peut-être faut-il y voir plutôt la volonté d’une providence outragée, décidée à balayer l’homme et sa turpitude de cette terre jadis verdoyante. Qui sait ? » […] « Souhaitons que non, docteur. Nous ne disposons pas d’un budget suffisant pour faire face à un cas aussi extrême. » (p. 65). Après le cataclysme, les bureaucraties du monde entier allaient se reconstituer et faire tourner les rotatives jour et nuit pour combler les lacunes d’informations (p. 125). il ne suffit pas de faire l’histoire, il faut encore que quelqu’un rapporte nos exploits. (p. 132). Dans l’ensemble, les gens s’étaient montrés plus dénués de ressources, de faculté d’adaptation, et moins prévoyants que les animaux sauvages. […] ils devenaient les victimes impuissantes d’un optimisme solidement enraciné touchant leur droit à la vie(p. 143).

Vivre après la mort, ce serait avoir une appréciation autre qu’émotionnelle ou culturelle des « choses ». Dans l’au-delà, la personnalité est superflue.

Peter Green : I’m still getting into studying the « wherefrom cometh the inspiration » to write, making sure it’s a good solid one and I’m not just doing different bits and pieces and suddenly I have to use a Muddy Waters line because I’ve not waited long enough for the inspiration to show its strength. You got me barking like a dog, now I’m jumping like a frog (Trying To Hit My Head Against The Wall)

2020 / chapitre 30

2020 / chapitre 29

Machine à conserver imparfaitement le passé.

14 juillet à Cerisiers : place du village déserte, quelques personnes masquées vont et viennent à la boulangerie. Le chauffagiste a ouvert ses fenêtres et passe de la musique militaire. Seul un petit garçon avec de grosses lunettes marche au pas.

Se déroulait devant nous une prairie si grande et si belle qu’une vie de contemplation n’aurait pas suffit à s’en lasser. Mon compagnon saisit un carton blanc et le jeta devant lui. Le carton soumis au caprice des vents se posait et s’envolait pour choir ailleurs. Je ne voyais plus que lui, mon regard le suivait et ignorait la prairie, ce qui était déplorable. Peiné, je courus chercher le carton et le ramenai. Vois, dit mon compagnon à qui je j’apportai, comme il a attiré ton œil. Pourtant, ajouta-t-il, il n’y a pas un trait dessus, pas une écriture, rien.

La vie de Lazarillo de Tormès Quand la saucisse fut rôtie et qu’il eut mangé les lèches de pain engraissées du dégoût de la saucisse (p.24). les soucis du roi de France n’étaient pas pour m’ôter le sommeil. (p. 37).

Œuvrer dans la littérature de genre, c’est d’une certaine manière faire dans la non-communication. — Tu écris de romans ? — Oui. Des histoires de… — Ah. Ne pas respecter les règles à l’intérieur de celle-ci, c’est crever les yeux des éventuels lecteurs. — C’est un post-apo avec Leiber et Moorcock sur l’échine d’un Caïman mort et le petit Chaperon rouge en orbite avec un loup de fer-noir. — Ah.

Notre feuilleton estival : FACEBOUC & PILECHÈVRE (dans lequel, rappelons-le, CHAPELLE et POLÉMIQUE sont les jouets du sinistre ANTAGONIX). Dans l’épisode d’aujourd’hui, le fourbe tentera de défaire nos héros en insinuant s’il est vraiment de bon ton de se prénommer ZIZI lorsqu’on est UNE DANSEUSE…

Je revendique l’appellation de flegme-watching (ne regarder QUE le premier épisode d’une série et s’arrêter là). Je l’ai fait pour Tales from the Loop, pour The Expanse, pour Man In The High Castle, pour Banshee ; j’aurais dû le faire pour Ozark, pour Dark, pour See, pour Fringe, et pour tant d’autres. Ça ouvre une sacrée perspective critique et ça laisse du temps pour s’occuper ailleurs. Ou disorder-watching : je l’ai fait pour The Night Of…, les huit épisodes dans le désordre : ellipses scénaristiques époustouflantes. Ou même dice-watching qui nécessite plusieurs jets de dé. Le premier pour déterminer le nombre d’épisodes et les seconds (ou le second) pour déterminer le ou les épisodes. Ou le mess-watching : des épisodes choisis aléatoirement dans des séries différentes, vus à la file. Etc.

2020 / chapitre 29

2020 / chapitre 28

Vu le premier épisode de Tales from the loop. Parabole des cieux qui nettoient, comme Marion la Souillon. (La maison s’envole.) Rien de neuf. Quand donc les séries de SF nous donneront véritablement à voir l’autre, l’inconnu, l’impensé ? Reste que l’appétit de voir des séries s’est gravement atténué.

Deux sortes de lecture : celle où j’arrive par moi-même ; celle qui m’est conseillée alors qu’elle est hors de vue.

Il y a des choses hors de la portée de nos sens et de notre conscience. Si ces choses ont un impact sur nous, verrons-nous cet impact ? Saurons-nous le discerner ? Ou bien sommes-nous changés à notre insu, en dehors du champ de notre conscience ? Ce changement indicible en est-il un ?

Soirée concert secret au Maquis de Vareilles. Français & italien & brésilien & portugais & polonais & anglais & américain & metallicaien & yaourtien & troudemémoirien.

Le son du cor (O. Sarban). elle n’avait pas seulement risqué la mort mais aussi toutes les tortures et traitements indignes qu’un absolutisme vicieux pouvait imaginer d’infliger. (p. 144). les grosses lèvres rouges de von Hackelnberg distendues par un gros rire bestial comme s’il mettait un terme à nos brèves vacances d’êtres humains. (p. 161). Pour vaincre […] il fallait faire quelque chose qui avait toute l’évidence de l’absurdité. (p. 163).

2020 / chapitre 28

2020 / chapitre 27

L’histoire de Chicago May (Nuala 0’Faolain) Quiconque a émigré se rappellera que l’espace entre les pays est plein d’émotion. (p. 37). J’avais oublié que les autobiographies de criminels ne sont qu’intrigues sans sujet. Son livre existait parce que May était une criminelle, et les criminels agissent ; ils ne réfléchissent pas à leurs actions. Cela me confronta au caractère assommant du picaresque et me rappela combien il est peu satisfaisant, de nos jours, de lire une somme d’expériences motivées par les événements et non par les personnages. (p. 43). et elle avait vu les femmes se déplacer dans l’enclave limitée de la maison, seul endroit dans lequel on leur accordait le pouvoir. (p. 58). Mais un livre est une autre affaire. C’est à la fois une action et une réflexion, et réfléchir n’était pas le fort de May. (p. 142). la satisfaction de faire quelque chose communément estimé louable. (p. 149). Les gens qui ont été des intimes se punissent mutuellement avec la même aisance qu’ils ont connue dans le plaisir. Ils mettent la modération en suspens, comme ils l’ont fait jadis pour l’acte d’amour. (p. 209).

Découvert Marie-Thérèse Bodart (Belgique) et Armonia Somers (Uruguay) dans l’anthologie Le fantastique féminin.

2020 / chapitre 27

2020 / chapitre 26

2020 CHAPITRE 26

On commençait par décrire en détail le théâtre de l’action, comme qui planterait d’abord un décor pour allumer ensuite les projecteurs, dans l’attente de l’entrée des personnages. Ou alors, ceux qui voulaient capter l’intérêt du lecteur, dès le début, commençaient leur premier chapitre par une scène très remuante et intéressante, emmenée dans un rythme endiablé et suivie en général d’une longue exposition de ce qui avait précédé. Les arbres généalogiques, les références aux origines du héros étaient donnés dans les chapitres suivants, qui devenaient terribles pour peu que l’auteur ait une plume trop vive. On se servait également d’actions parallèles, en demandant l’autorisation au lecteur d’abandonner Louise à ses gémissements, pour revenir à Gérard qui s’entretient avec son avocat, pour enfin décrire l’agonie du grand-père. Quant au dialogue, il était plutôt de style réaliste, mais sans vulgarité, entrecoupé de pauses pour allumer une cigarette, pour ouvrir la fenêtre, pour froncer les sourcils, ou regarder son interlocuteur droit dans les yeux. (Alejo Carpentier, le renouveau du roman, 1953)

Une fois publiés Retour sur Mars ; Chroniques de Caïman ; Micmacs au Maquis ; Moi, Ogrur le Minuscule ; Le Chevalier Compost, La Guerre contre le Pulp ; la novélisation de Araknia et le spin-off de L’Homme qui Traversa la Terre, puis le texte où Charles Perrault et Philip K. Dick se retrouvent autour de leur jumeau mort, j’écrirai : Robert Darvel, une autobiographie par Frédéric B***.

De l’influence extra-papillaire de la photographie sur l’art culinaire depuis Paulette Buteux.

Quand la porte des toilettes s’entrebâille, poussée par un chat n’ayant aucun sens de l’intimité, et que celui-ci nous regarde avec l’air condescendant et quelque peu moqueur de qui sait se lécher le cul.

Le concept de semi-sequel.

Un jour, je danserai à six pieds de vous.

Écrire, c’est taire.

Même antagonistes, les personnages d’un roman sont nécessairement complices.

2020 / chapitre 26

2020 / chapitre 25

(Pensant à Orlando de Virginia Woolf.) Lorsqu’on quitte le domaine du roman rationnel, quels sont les obligations que l’on traîne tout de même avec soi ?

Prompts à dégainer les inimitiés.

Aujourd’hui (suit la date), j’ai décidé, après avoir écrit des marinades où le présent réel surnageait à l’état de lambeaux dans un vinaigre d’Imaginaire, de jeter un regard sur le monde de maintenant.

Hier, Bernard Ch*** (l’un des papas de Chastragnette) tout ému nous montre ses adorables lapereaux qu’il a biberonnés avec une poire pour se nettoyer les oreilles, parce qu’il n’avait pas de tétine. Il nous dit : j’aime bien les lapins. Et de temps en temps, j’en mange un.

Le Diable boiteux (Luis Vélez de Guevara) ces messieurs qui, sans argent, demandent la mer à boire et un phénix en croûte. (p. 101) . il fit un trou à la nuit en s’envolant dans les airs, laissant sur place tout oiseau et autre citoyen des régions éthérées, comme on dit dans le jargon des esprits tordus (p. 104). me diras-tu s’il est vrai que les planètes ont des épicycles, quel est le mouvement de chaque ciel, entre l’impulsion initiale et les oscillations en passant par les coups d’estoc, et me diras-tu enfin où se trouvent les signes astraux qui rappellent les signes notariaux, pour qu’on perde toute illusion sur le monde et que l’on cesse de nous vendre des vessies pour de lanternes ? (p. 140). ou bien tu vends les ponts, ou bien tu achètes une rivière. p. 175).

Passée la barrière du temps (Damon Knight). Roman écrit pour montrer à Van Vogt que Knight pouvait aussi écrire n’importe quoi. Peu passionnant. Mention d’une chute vers le centre de la terre qui n’est pas dans Les Terres creuses (p. 141). Et : Elle a pris un poison de vingt jours (p. 207).

2020 / chapitre 25

2020 / chapitre 24

Ai croisé un nombre élevé de manchots dans la rue, qui, respectant avec ardeur le code sanitaire en pandémie, s’étaient arraché un bras à coup d’éternuements.

Cul-de-sac (Douglas Kennedy). J’étais un inconditionnel du temps perdu. (p. 246).

J’aime ne pas savoir ce que je lis, entraîné par une forme adéquate. Je n’aime pas savoir ce que je lis, et dont la forme m’insupporte (c.-à-d. Les Furtifs).

Qu’est-ce que l’entendement, si tant de choses le dépassent ?

Beaucoup, beaucoup de moucherons qui tournent autour des monolithes élus que sont Tolkien, Lovecraft, ou Dick. On déplore Werber et on enterre Darvel.

Récits de vaisseaux doublant un Cap Horn de SF, falaises noires, chaudron de tempêtes et – surtout, lieu d’une anomalie d’attraction où on voit les flots suivre une inclinaison étrange – une pente. (Explication : météorite englouti, ayant son propre champ d‘attraction.)

Valeureux Grand Chef « Sûr-de-gagner-car-personne-en-face » qui s’accroche comme pou sur la molle couille citoyenne.

La Harpe et l’Ombre (Alejo Carpentier). L’époque était calamiteuse. (p. 19). Les gouvernements américains actuels sont des gouvernements convulsifs à cause des changements continus auxquels ils sont soumis. (p. 35). Celui qui connaîtrait, à la nuit tombante, les mystères de la mort, de même qu’il avait connu de son vivant ceux d’un au-delà géographique. (p. 47). Indes nombreuses, foisonnantes, épicènes et spécieuses, indéterminées mais qui pourtant s’avancent vers nous, désireuses de nous tendre la main, de se mettre à l’abri de nos lois (p. 79). il défendait en revanche la docta ignorantia dont je suis un adepte. (p. 103). Par la porte de droite et par la porte de gauche entrèrent les figures étirées du Mystère. (p. 180).

La Danse sacrale (Alejo Carpentier). Dernier gros morceau de l’auteur. De la révolution russe à Fidel Castro, à travers les yeux de deux personnages. quand on est né dans un milieu comme le mien, où personne ne se heurte à a Difficulté, à la Contingence, à ce qui se passe au-delà de son univers personnel ; où l’on tient pour notion fondamentale que toute Idée Étrangère à l’idée de posséder n’est pas une Idée Valable ; où l’on croit que seuls sont réels les événements qui se produisent à notre profit (p. 41). les monstres de Jérôme Bosch, peintre de démons d’autant plus effrayants, à ce qu’affirmait Quevedo, qu’il n’en avait vu aucun. (p. 67). un ordre qui commença à être vicié le jour où une communauté primitive se transforma en un méchant patelin dans lequel les sorciers se constituèrent en corps législatif (p. 121). Et, devant ces survivants d’un régime aboli, s’accrut en moi l’impression de me trouver dans un monde incroyablement caduc mais où des mains opiniâtres s’accrochaient encore au passé, prêtes à offrir leurs dernières énergies à tous ceux qui parleraient de recouvrer ce qui avait été perdu, de sauvegarder titres et biens, d’immobiliser, d’étayer, de défendre, ici, là, partout où il le faudrait, un présent propice à leurs nostalgies (p. 189). un crime était préférable à une erreur, puisque pour tout crime il y avait un avocat, tandis que celui qui se trompait – le naïf, le rêveur – serait toujours le bouffon des puissants et des forts (p. 300). et si, depuis mon enfance, je ne fais que considérer des faits qui dépassent mon entendement (p. 429). morte sept jours après ses noces – « sans laisser de descendance » (p. 439). en me promettant tous les égorgements, étripements et défenestrations auxquels rêvent tous les bourgeois du monde (p. 516).

En relisant La harpe et l’ombre, je me suis demandé combien de livres m’ont ainsi marqué, par surprise, au hasard d’une bibliothèque, d’une recommandation, d’une curiosité buissonnière ou dans l’œuvre d’un auteur, qui ont affublé mon plaisir de lire d’une multitude d’yeux nouveaux – ou qui m’ont fait éclater de rire. Et, entre autres, me sont revenus :

Adriana Buenos Aires (Macedonio Fernandez) ;

Colas Breugnon (Romain Rolland) ;

Je lègue mon âme au diable (Germán Castro Caycedo) ;

La mort en Arabie (Thorkild Hansen) ;

La nonne-soldat (Catalina de Erauso) ;

Lavengro (Georges Borrow) ;

La victoire à l’ombre des ailes (Stanislas Rodanski) ;

Les arpenteurs du monde (Daniel Kehlmann)

Lettres de Tanger à Allen Ginsberg (William S. Burroughs) ;

Stalky & Co (Rudyard Kipling) ;

Typee (Herman Melville) ;

Un pont sur la Drina (Ivo Andrić) ;

Vagabonds (Knut Hamsun).

2020 / chapitre 24

2020 / chapitre 23

Mystère rue des Saints-Pères (Claude Izner) C’est égal, un homme qui vit avec plus de cinquante centimes par jours est une canaille ! (p. 140).

Mis au ban pour avoir exprimé une exaspération légitime.

En fait, Caïman relate les derniers soubresauts d’une humanité qui se complait à répéter les agissements l’ayant, de tout temps, conduite à sa perte (ils suivent un tyran, cèdent à la cupidité ou à l’appel de l’aventure) – et à sombrer, cette fois-ci, pour de bon.

Révélation finale, coup de théâtre, structure habile, élaboration millimétrée… Rien de tout cela ne saurait égaler le passage d’un récit lorsqu’il laisse toucher, de manière brève, fugitive, la puissance d’invention détachée de toute contrainte, une envolée, une évasion hors de l’histoire.

On ouvre le volet. Les quatre petits chardonnerets s’envolent et rejoignent les géniteurs dans le tamaris. Chastragnette en chope un au vol. On le libère. Il se remet et repart. On consigne les deux chattes à l’intérieur. Épouvantable : on se fait grogner dessus dès qu’on remue un orteil. Une heure après, on libère les fauves. Depuis, Chastragnette est assise dans le nid. N’empêche que, cette année, huit petits (avec les rouges-queues) sont nés à la Grange. Sans compter les rouges-gorges du lilas, les mésanges et les moineaux ailleurs dans le jardin, desquels on n’a pas reçu le faire-part.

Vu Thieves like us (Robert Altman) et Weather man (Gore Verbinski). Entre les deux, un abîme.

2020 / chapitre 23