L’humanité est un entrelacement de stratégies de survie, perpétuellement mises à bas, perpétuellement recommencées.
L’humanité est un entrelacement de stratégies de survie, perpétuellement mises à bas, perpétuellement recommencées.
Il arrive très souvent qu’un éditeur détourne toute la gloire d’un auteur (quand gloire il y a, c’est-à dire lorsque que l’auteur a bien travaillé, et que l’éditeur a daigné travailler) à son bénéfice seul. Grâce à lui, l’auteur est.
Jusqu’au début des années 80, la SF, livre après livre, creusait un formidable tunnel à travers le réel : aujourd’hui, elle me paraît y être ensevelie et vivre des décombres.
Le passé est une terre étrangère (Gianrico Carofiglio) Sa bouche était dure et agressive comme une garniture de pneu ; même chose pour sa langue, élastique et puissante. (p. 217).
Je suis tombé sur un numéro de la revue Europe datant des années 70 consacrée à la SF : le genre est obsédé par sa propre définition, depuis toujours. Et, pour délaisser la notion de véracité face à l’utopie d’une extrapolation scientifique rigoureuse, elle a recours à la poésie (Igor Bogdanoff précède la thèse de Joseph Altairac à propos de Van Vogt).
Forme finie (roman, film) vs flux incessant (série, environnement virtuel).
Il sera plus rentable pour le flux financier de soustraire l’individu à l’économie.
Loth changée en sel après s’être retournée sur Sodome : d’où l’expression se faire sodiumiser.
Un roman est un espace clos – et plus il s’éloigne de son centre, plus il dessine sa limite.
Sans nos paroles, le monde est un lent chaos silencieux ; sans les hommes, il sera accueillant.
Les yeux fermés (Gianrico Carofiglio) Il y a des soirs où on sait à l’avance que se prépare une nuit sans sommeil. Pas de signes particuliers, éclatants, évidents. On le sait, tout simplement. (p. 99). C’est marrant. Tu racontes que t’es une bonne sœur et ça ne vient à l’idée de personne de vérifier si c’est vrai. Personne ne te demande quoi que ce soit… (p. 222).
Un éditeur qui se prétend tel ne se doit-il pas de saisir toute opportunité de promouvoir un livre qu’il a choisi de publier ?
Le milieu de l’édition d’imaginaire est le même que n’importe que autre milieu, la tête est juste un peu enflée.
Nous vivons – hélas – de l’avidité de certains.
Comment se fait-il qu’un film comme Tomorrow war (transit temporel pour guerre future, aliens et extinction de la race humaine) propose si peu d’intérêt scénaristique ? Avant quand on allait regarder une daube, on en sortait comblé. Là, c’est le néant.
Suite à un désaccord portant sur le non-traitement donné au prix remis (de manière totalement inattendue) à son livre, un auteur se brouille avec son éditeur – l’un, blessé de la stupidité odieuse de l’autre et le second affichant un dédain insupportable à l’encontre du travail du premier. Il en ressort ceci : à quoi sert d’attribuer un prix, s’il n’y est pas donné de suite ? À quoi sert un éditeur, s’il refuse de promouvoir ledit livre primé ? Alors je braille. Et me dis : Mon emportement serait-il illégitime ? Dois-je me taire ? Vais-je, en l’ouvrant, pulvériser en miettes ma notoriété possible ? Vais-je hypothéquer ma carrière d’écrivain ? Vais-je être mis au ban du milieu pour intempestive manifestation de mesquinerie égotique ? En silence, le livre et son auteur sont donc rejetés ; oubliée, la sortie au format poche, désamifié de facebook, l’auteur, ignoré avec une morgue aussi ridicule que blessante lors de leur dernière rencontre à l’ultime salon de Sèvres. Si on réfléchit à l’affaire, on concluera que le gachis vient du refus de l’éditeur à faire son travail d’éditeur (ainsi que la légèreté des festivaliers à l’encontre de l’auteur à qui un prix est attribué). Il – l’éditeur – n’a pas jugé bon de faire son devoir d’éditeur en rejetant l’affaire sur l’inertie du festival (inutile de se démener, le prix n’est pas doté d’un attaché de presse, a-t-il invoqué comme raison à son refus d’apposer un bandeau et d’inciter le diffuseur à placer ledit ouvrage sur les tables des libraires – et ce moment coïncidait avec celui où il arguait vouloir élargir son lectorat au non-imaginaire, et le livre s’y serait ma foi bien prêté) ; puis en jugeant irrémédiablement offensante la réaction de l’auteur (un post public assez cinglant). Pour conclure, j’ai eu un prix, je n’ai pas été invité au festival, le livre n’existe plus, l’éditeur ne veut plus entendre parler de moi ; les amis édités par ce même éditeur gardent le silence – dont une, collaboratrice habituellement intransigeante avec la morale, que j’ai appréciée à l’époque où elle usait d’un pseudonyme amusant, et qui a suivi l’élaboration dudit roman en qualité de relectrice. Et, mesquinerie supplémentaire, cet éditeur tarde à, ou refuse de régler une facture au Carnoplaste (facture 01199 du 23/01/21 d’un montant de 195,63€). Je n’ose anticiper sa réaction, au triste individu, si je rappelle cette affaire publiquement. Ulcérée, cinglante, dédaigneuse ou navrante : sans doute saura-t-il surprendre d’une manière que je peinerais à imaginer. Chic : depuis plus d’un an, il m’ignore. Peut-être le contact entre nous se renouera-t-il ? La dernière fois qu’il qu’il m’a envoyé un mail, il y allait d’un vouvoiement idiot – lui qui a dormi à la maison. Je te jure, il y a de ces *** – réfugiés derrière une prétention épaisse comme un mur de plomb, de plomb anglais subtil et raffiné – dans le milieu pourtant si restreint de l’Imaginaire. (Ps : Les ponts sont coupés, car il me reproche mon non professionnalisme. Être professionnel donc, c’est choisir, pour des raisons alambiquées, de ne pas honorer le travail d’un écrivain qu’on a publié ?) Dois-je me taire ? Dois-je parler ? C’est étrange, pendant une période, ça a tendu à faire de moi une sorte de quémandeur illégitime glapissant après la non-remise de ses lauriers. C’est dommage, ça a surtout misérablement brisé un arc commencé 10 ans plus tôt, lorsque je suis venu à Épinal sans connaître personne, pour promouvoir le Carnoplaste et rencontrer des gens du milieu de l’édition. Ce prix du roman non attendu aurait clôt la figure d’une aimable façon. Si c’est cela se faire publier (l’auteur comme négligeable denrée de réassort de l’industrie de l’édition, des festivals et autres manifestations), je préfère redevenir simple lecteur. Si on décerne un prix, on l’honore ; si on édite un livre, on le promeut. Point. Et va te faire foutre.
J’entends un glapissement horrifié dans la salle de bains. C’est Catherine qui hurle : Je fais du gras ! À être immobilisée, je fais du gras ! Je lui fait tout de même remarquer que c’est pas du gras, c’est du Lafarge première qualité, du bon acier et des pneus neufs et qu’elle est montée sur la balance avec son plâtre, ses béquilles et le fauteuil roulant.
Jean Ferrat : Aimer à perdre la toison.
Miracle à la combe aux aspics (Ante Tomić) — C’est quoi ça ? demanda Mile. Du liquide vaisselle ? — Cocktail rhum blanc et limette, monsieur, dit le serveur en tiquant. — Du rhum ? Chez nous, on met ça dans les gâteaux, remarqua Branimir. — Monsieur, c’est sûrement le meilleur rhum du monde. Vingt-cinq ans d’âge. — Vingt-cinq ans ? dit Mile. Mon garçon, s’il était aussi bon que tu le prétends, on l’aurait bu depuis longtemps. (p. 114)
Lansky (Eytan Rockaway) J’ai tenu 10 mn : Harvey Keitel ressemble à Oliver Hardy à la fin de sa vie.
Retour de service
L’autre moitié de soi (Brit Bennet) Deux jumelles noires à la peau claire ; l’une devient une Noire, l’autre, une Blanche. En grande partie plaisant (décousu sur la fin). Il avait la chance d’avoir la mémoire courte. Une bonne mémoire, c’était un truc à vous rendre fou. (p. 49). Mallard se déformait. Les lieux n’étaient pas stables, Early le savait déjà. Une ville est une gelée mouvante qui épouse la forme de nos souvenirs. (p. 78). Une fille capable de peser au jugé cinq cents grammes de viande hachée s’en sortirait toujours dans la vie, elle n’avait pas besoin de faire de grandes études. (p. 104).
Le mambo des deux ours (Joe Lansdale). Encore une histoire de Hap couilles et Leonard bite. Ça me rendait aussi nerveux qu’une chèvre invitée à un barbecue. (p. 108). On se partagea quelques vieux romans écrits par Michael Moorcock sous le pseudo d’Edward P. Bradbury. C’était des pastiches d’Edgar Rice Burroughs, rapides, sympas, et plutôt idiots. […] Je n’avais pas eu l’occasion de lire comme ça depuis un moment, et surtout ce genre d’histoires, et j’étais dans l’état d’esprit et la situation émotionnelle qu’il fallait pour les gober […]. (p. 147). Sans doute que, dans ses mauvais jours, il adorait s’amuser à faire des nœuds aux bites des gorilles. (p. 182).
Plier bagage (Daniel Saldaña París) Jusqu’à ce jour, mon père m’avait toujours paru comme un élément parmi d’autres de l’infrastructure domestique, une espèce d’automate qui fournissait le transport et un certain étiage d’affection, une sorte d’hybride d’animal de compagnie et d’appareil ménager. (p. 24). Mon père n’a jamais été capable d’anticiper la douleur d’autrui. La vie intérieure des autre – y compris ses enfants – fut toujours un coffre-fort dont il ignorait la combinaison. Il était incapable d’empathie et prenait toutes les décisions en fonction de ses propres sentiments et besoins. (p. 47). Belle page (61) sur la pliure centrale d’un origami et la notion de symétrie : qui n’était pas une condition du monde, mais une invention de l’entendement.
Le petit monde de la SF braille contre la Red Team, mais il est gourmand de trucs futuristes où ça défouraille à mort.
L’autorité éditoriale sous laquelle j’avais placé Femmes… fait disparaître le prix. Puis le livre. Puis l’auteur. Je réapparaitrai ailleurs, sous un autre nom. Après tout, je connais un carnoplaste.
Les littératures dites de genre
Salammbô (Gustave Flaubert) Flaubert n’a pas de sympathie pour son héroïne. Pour le reste, c’est une montée des massacres – parce qu’on ne veut pas payer les hommes, parce qu’on les trompe, parce qu’on les extermine. Lui qui déclare vouloir écrire autre chose que les bassesses des bourgeois élargit sa détestation à l’humanité d’alors. C’était une eau bourbeuse, noire, glacée, profonde. Elle enfermait des monstres insensibles, parties incohérentes de formes à naître (p. 71). Soudain il s’arrêta, les yeux béants, comme s’il eût découvert entre les chiffres sa sentence de mort. (p. 85). les gouvernements étaient estimés comme des pressoirs d’après la quantité qu’ils faisaient rendre. (p. 108). et la lumière arrivait, effrayante et pacifique cependant, comme elle doit être par derrière le soleil, dans les mornes espaces des créations futures. (p. 127). Et puis deux péripéties un peu hors-propos : Il y avait en dehors des fortifications des gens d’une autre race et d’une origine inconnue, — tous chasseurs de porc-épic, mangeurs de mollusques et de serpents. Ils allaient dans les cavernes prendre des hyènes vivantes, qu’ils s’amusaient à faire courir le soir sur les sables de Mégara, entre les stèles des tombeaux. Leurs cabanes, de fange et de varech, s’accrochaient contre la falaise comme des nids d’hirondelles. Ils vivaient là, sans gouvernement et sans dieux, pêle-mêle, complètement nus, à la fois débiles et farouches, et depuis des siècles exécrés par le peuple, à cause de leurs nourritures immondes. Les sentinelles s’aperçurent un jour qu’ils étaient tous partis. (p. 77). Et : Un chien courait sur le mur. L’esclave lui jeta des cailloux ; et ils entrèrent dans une haute salle voûtée. Au milieu, une femme accroupie se chauffait à un feu de broussailles dont la fumée s’envolait par les trous du plafond. Ses cheveux blancs, qui lui tombaient jusqu’aux genoux, la cachaient à demi ; et sans vouloir répondre, d’un air idiot, elle marmottait des paroles de vengeance contre les Barbares, contre les Carthaginois. Le coureur furetait de droite et de gauche. Puis il revint près d’elle, en réclamant à manger. La vieille branlait la tête, et, les yeux fixés sur les charbons, murmurait : — « J’étais la main. Les dix doigts sont coupés. La bouche ne mange plus. » L’esclave lui montra une poignée de pièces d’or. Elle se rua dessus, mais bientôt elle reprit son immobilité. Enfin il lui posa sous la gorge un poignard qu’il avait dans sa ceinture. Alors, en tremblant, elle alla soulever une large pierre et rapporta une amphore de vin avec des poissons d’Hyppo-Zaryte confits dans du miel. Et Salammbô se détourna de cette nourriture immonde
Clandestin est un terme administratif.
Dieu, le temps, les hommes et les anges (Olga Tokarczuk). Cette puissance se manifestait dans chaque mouvement, dans chaque son, une puissance qui par sa seule volonté crée à partir de rien puis renvoie les choses au néant. (p. 30). Comme tout être humain, Misia était née en quelque sorte disloquée. Chaque faculté, chez elle, faisait bande à part : la vue, l’ouïe, la compréhension, le sentiment, le pressentiment. Son petit corps était au pouvoir de réflexes et d’instincts. La mise en ordre de tout cela, voilà en quoi devait constituer la vie de Misia avant de laisser s’opérer la désintégration finale. (p. 58). Peut-être les moulins à café sont-ils l’axe de la réalité, le pilier autour duquel tout gravite et se développe ? Peut-être sont-ils plus importants pour le monde que les humains ? (p. 64). Que diable serait-il allé faire hors de sa bibliothèque ? (p. 238). « Tant qu’ils resteront un seul peuple et parleront une seule langue, ils pourront n’en faire qu’à leur guise… Je vais confondre leurs langues, Je les enfermerai à l’intérieur d’eux-mêmes, Je ferai en sorte qu’ils ne se comprennent plus entre eux. Ils se dresseront alors les uns contre les autres ; et Moi, ils Me laisseront en paix. » Et Dieu fit ce qu’Il avait résolu. (p. 349). C’est ainsi qu’il découvrit la loi de la réduction du quatre au deux : le deux est l’état du repos du quatre. (p. 364). Sur l’étagère du bas, il rafla les sacs de Misia, plongea les mains dans les intérieurs glissants et il eut l’impression de vider des animaux morts. (p. 374).
Je pensais que la littérature d’imaginaire se chauffait encore à un élan vers autre chose ; or, le lectorat et l’édition incitent à repasser toujours les mêmes plats.
Ce qui pourrait définir un genre, c’est que chaque livre entre en résonance avec tous les autres du même genre.
Qu’on ne se méprenne pas : je ne critique pas ici les livres lus (ou abandonnés en cours de lecture) pour ce qu’ils sont, mais comment ils arrivent dans une logique de curiosité dynamique, de processus de lecture. Si je les avais lus avant, peut-être auraient-ils trouvé leur place dans le flux. Ils arrivent trop tard, ce qu’ils portent a déjà été lu – et souvent écrit de manière plus fine.
Le garçon (Markus Malte) Roublard, sans âme ni contenu. Un livre-wiki avec les habituelles béquilles culturelles (ici Mendelssohn et Sade) pour faire comme. Le Garçon du titre n’existe pas, écrasé par le narrateur et son havresac factuel, son présent de l’indicatif, ses répétitions. Un exercice d’imitation parodique ? Même pas. Rien de vraiment notable. Juste la fin de cette description à sauver : Deux moitiés. Le tronc, les jambes. Séparés non par magie mais par le tranchant d’une plaque de tôle tombée de toute la hauteur du toit. Les intestins se répandent. Les boyaux, les viscères, une bouillie de matières et d’humeurs indéfinies, fétides. Ajouté à cela une grosse pièce de bois de la charpente s’est écrasée sur son crâne. Sous le choc un œil a giclé de son orbite. Il pend, seulement tenu par un nerf ou quelque autre filament. Dans la main de la fillette, entre ses doigts légèrement écartés, on peut apercevoir un œuf dont la coquille est intacte.
Trois cartouches pour la Saint Innocent (Michel Embareck). Je m’attendais à plus corrosif, c’est assez nostalgique et triste. Narration moins en roue libre au niveau des expressions que le bouquin sur Dylan & Cash. Souci pédagogique de l’auteur qui tient à expliquer clairement ce dont il retourne, et à décrire l’époque d’avant sans laisser reposer l’exercice sur la complicité du lecteur. Le rédacteur encaissait, enfournait la noirceur de l’humanité au fond de ses poches avant d’envisager un saut par la fenêtre, façon de regarder pour une fois le monde d’en haut. (p. 78). — Putain, mate-moi ces baltringues, persifle-t-il. Lunettes noires de tontons macoutes, barbes à poux de hipsters, harnachement de fusiliers-commandos ! — Comme partout, des employés communaux déguisés en gardiens de la galaxie et juste bons à emmener pisser l’écureuil de la Caisse d’Épargne. (p. 86). Sur les écrans tournèrent en boucle les images de manifestations de soutien, menées par des actrices et des écrivaines utilisées comme « biais de persuasion ». (p. 177).
Vu Le Coucou (Koukouchka) d’Alexandre Rogojkine.
Hier, journée manège : lecture de Dieu, le temps, les hommes et les anges (Olga Tokarczuk, Pologne) ; cueillette de l’épine vinette pour la troussepinette (avec Bernard Chastragnat, de Vaucrechot, 85 ans) ; vu au cinéma Drunk (Thomas Vinterberg, Danemark) ; puis, à la maison, Café lumière (Hou Hsiao Hsien, Japon).
Cool, sur fb, quand un casse-bonbons te dé-friandise.
Imperturbables, les machines continueront à envoyer des spams à l’humanité décimée, et ce jusqu’à épuisement de leurs batteries.
Comment, avec une méthode, écrire ce qui fait le sel précieux d’un roman : l’insaisissable ? Pour répondre à un certain manuel qui vient de paraître : Comment écrire un livre avec un stylo. Prenez un stylo. Écrivez.
Que nous existons ne fait pas que nous soyons tous dignes d’intérêt.
What about my mother?
I can’t just leave her there to mourn
You don’t have to think about her
Just forget you were ever born