lundi 5 août
Les gens usent des médias principalement pour déconsidérer leur propre humanité. Ou, pour dire autrement : les médias sont quasi exclusivement au service de gens qui y témoignent de l’abandon de leur humanité.
Dans un conte, une présence apparaît et soutient le récit avec toute la logique nécessaire, mais sans l’adéquation formelle requise. Ce sera une chèvre à la place d’un chevreuil alors qu’on est en forêt et que la présence du second serait plus logique que celle de la première, ce genre de pas de côté irréductible au simple bon sens. Souvent, le conte est réfractaire au bon sens narratif, il obéit à autre chose. Donc, il nourrit une exaspération chez le lecteur qui pense : si cela était remis droit, alors l’histoire serait plus claire et sa portée plus grande. Mais c’est justement cette désobéissance qui rend le conte fascinant.
Dans un conte, les faits arrivent et bousculent l’esprit avant que celui-ci puisse les analyser.
La grande force des contes réside dans le manière de rester inintelligibles. Interprétés de mille manières, avec mille outils philologiques, mais, au fond, inintelligibles.
Parmi mes amis qui sont morts, l’un d’entre vous a-t-il des nouvelles de Philip K Dick ?
La forêt des Mythimages (Robert Holdstock) : plan-plan jusqu’à l’arrivée dans le récit de la fille peinte en vert avec ses dents vertes et ses contes. Là, à cet endroit, c’est renversant. Et puis ça retombe. De plus, à la première lecture, dans les années 80, les images mentales issues du récit étaient fortes ; maintenant, elles sont parasitées par les effets spéciaux des films, effets semblables jusqu’à l’écœurement. Freya, je vois des CGI. Les créatures, CGI. Pour tout, je vois des CGI. Merde de merde. Littérature gâtée par les daubes industrielles, même lorsqu’elle date d’avant. Devant un écran, il est urgent de fermer les yeux.
mardi 6 août
Vu à la file trois films tournés en Écosse :
The vanishing (Kristoffer Nyholm). Creux malgré Peter Mullan, Gerard Butler et Connor Swindells.
Mary Queen of Scots (Josie Rourke). Grand soin des costumes, qui ne sont jamais la raison de l’image. Aucune sophistication esthétique trop appuyée (contrairement à La favorite). Un rideau en fond de salle de réunion, comme au théâtre. Très bien joué par Saoirse Ronan et surtout Margot Robbie, défigurée par la variole, faux nez, talquée et emperruquée. On y croise même David Tennant et Brendan Coyle. Les quatre femmes qui servent de garde rapprochée à Mary Stuart sont excellentes lorsqu’elles aboient après les hommes pour les faire dégager. L’un des meilleurs films vus dernièrement.
Stardust (Matthew Vaughn), une fantasy qui enfile les poncifs du genre de manière enjouée, ou tout le monde cabotine. Pas désagréable. Mais bon.
Suggéré par la lecture du Robert Holdstock : écrire mon post-apo (celui avec les caïmans et les famines paysannes du XVIIe) à rebours. À mesure que mes protagonistes se déplacent, ils vont vers une sorte de vortex temporel, vers ce qui a engendré cet état des choses et butent sèchement contre les politiques actuelles.
Plutôt qu’appartenir à un courant littéraire, je me suis bâti un gué qui traverse et s’oppose au courant. Un gué fait d’auteurs ou de livres dont il va falloir que je dresse le registre un de ces jours.
mercredi 7 août
Le temps passe et nous dévore. Nous ne sommes que des chips apéro sur une table basse.
Les dirigeants actuels refusent de considérer l’après-eux. Ils criminalisent les citoyens, tous – ceux qui se dressent contre comme ceux qui les maintiennent au pouvoir. Ils nient la course à l’abime. Ils préfèrent le homard à l’humain. Démembrons-les tous. Noyons-les dans la banquise fondue. Clouons-les aux troncs brûlés de Sibérie. Roulons-les dans du film alimentaire. Gonflons-les au dioxyde de carbone. Maintenons-les en-deça d’un seuil de 3% d’air respirable. Prenons-leur la température au chalumeau à acétylène. Bref, passons outre.
La prochaine extinction de masse devra donc concerner les grands actionnaires.
Post-apo (appelons-le CAÏMAN) : adjoindre aux personnages une vache avec un hublot. Et toutes les variations sur la chose. Signes de la folie de temps révolus.
jeudi 8 août
Vu The broken (Sean Ellis) une resucée correcte des Profanateurs de sépultures mais tout de même très mince. Infiniment moins intéressant que Cashback.
Et les vieux sols s’ouvriront pour accueillir les débris des nouvelles civilisations.
La majorité silencieuse est mollement déloyale.
vendredi 9 août
Première scène décrivant une violence inouïe entre deux personnages. L’un prend le dessus, s’acharne sur l’autre, le coupe partout, le blesse, le perfore. L’autre ne meurt pas, n’arrive pas à être tué et son assaillant tombe littéralement d’épuisement au bout de plusieurs heures de corps à corps. S’endorment l’un sur l’autre. Au réveil, leurs sangs sont mêlés, coagulés. Ils restent ainsi, à se regarder, une sorte de trêve due à l’extrême fatigue qui les cloue l’un à l’autre. Cela dure indéfiniment. Ils en profitent pour parler. Un lien se noue. Puis, lorsqu’il a recouvré assez de forces, le premier tue enfin le second.
Rome : comment les talents conjugués de John Milius et de Michael Apted peuvent aboutir à un tel truc mou, confus, mal dirigé et filmé comme une telenovela brésilienne ? Aux décors infiniment tristes, Rome à la dimension d’un coin de rues à Aubervilliers, trois branches d’un terrain vague comme campagne italienne. Des trucs drôles (Que Triton me suce la bite), des personnages de lourdingues, mais bon. Mol divertissement pour fatigué de salle de garde
samedi 10 août
Vu La peau douce (Truffaut) juste pour Paris en 1964. Et Orly, Reims, Lisbonne. Peu de monde dans les rues, toujours une place pour se garer. Un clone de Hollande (Desailly) trompe sa femme avec une hôtesse de l’air (Dorléac). Personnages horripilants. Balzac, Gide, Allégret. Filmé avec ce genre de fluidité qui entraîne l’œil alors qu’on se branle le tamponnoir de tout ça.
Ce n’est pas tant le respect d’une structure narrative et ses avancées nécessaires au récit, c’est aussi et surtout de faire croire au lecteur, de manière ponctuelle et imprévisible, à un embranchement insoupçonné de l’histoire.
Début d’histoire : [Le personnage] ouvrit d’un coup la couverture du livre et rugit.
dimanche 11 août