Tiroir 5/12 : rouille et chairs
Au début, incommunicabilité entre le Conquistador enfin vivant et l’écrivain. Puis Valentine use d’un subterfuge de conte afin qu’ils s’entendent et se comprennent. Et le Conquistador raconte son histoire (ou une improbable histoire : à un moment, Valentine apprendra à l’écrivain à visualiser les pelures d’histoires antérieures à celle-ci).
Le Conquistador parle. Une évocation de souffrances. Nuits passées dans le lit d’une rivière asséchée. Chevaux démembrés, sabots offerts aux Dieux. Blessures niées. Membres tranchés. Corps nus vs armures, armures minées par les tarets (qui délaissent le bois de vaisseaux pour attaquer l’acier – renvoi à l’éolienne). Catalogue de souffrances auxquelles il a assisté ; des merveilles qu’il a entendues ; des prodiges qu’il a vus. L’écrivain soupçonne que le Conquistador est en réalité une marionnette animée par Valentine. Non, rétorque-t-elle. C’est une sorte de compression de tous les conquistadores. Plus que ça même : une compression de tous les hommes qui avancent dans le monde protégés par une carapace – celle de leur imaginaire. Dès lors s’engage un vrai dialogue entre les trois personnages.
Thème des Indiens, des autochtones. Des Aztèques et des Incas fantômes de l’Yonne et d’ailleurs. Thème des lectures des Conquistadores : sans doute, affirme Valentine, ce sont des Natifs qui ont écrit certains romans et les ont répandus en Espagne afin d’offrir aux conquérants une préconception de l’El Dorado – ce qui vaudra la perte de quelques expéditions (dont celle du Frère Carvajal, qui file sur l’Amazone). Ce genre de causerie sur la nature de l’Histoire.
Les trois personnages se rapprochent et se lient. Les animaux de Thorellie sont là, à les veiller, d’une certaine manière. Lors de certains crépuscules, le récit donne l’impression qu’il n’y a plus ni réel ni imaginaire, mais une simple étoffe humaine traversant l’infini.
Tiroir 6/12 : dehors & aujourd’hui
Le Conquistador sort. Dehors. Aujourd’hui. L’écrivain tente de le rattraper, de le forcer à revenir. Valentine est folle de joie. L’écrivain lui dit qu’elle peut se permettre d’être aussi frivole parce qu’elle est invisible aux yeux des autres. Lui est visible – et visible est le Conquistador (qu’on prend pour quelqu’un de déguisé). Tout cela pourrait se terminer dans la violence (celle du Conquistador et celle des Icaunais à l’encontre du Conquistador). Chapitre qui pourrait facilement tourner à la comédie : trouver le ton amer nécessaire pour l’éviter). Ils rejouent quelque part dans la traversée de l’Yonne la marche de Vasco Núñez de Balboa à travers Panama. Puis – scène d’anthologie – Valentine décrit la prise de Villeneuve-sur-Yonne par les Conquistadores, qui s’articule, militairement parlant, comme celle de Tenochtitlan. Dangers. Écluse piégée avec des épieux, hommes dans l’eau respirant par des roseaux. Milliers de morts. Massacres.
Les deux compères seront sauvés par Valentine, qui les ramènera via la lisière de Thorellie.
Bien que relatant des faits mouvementés, l’écriture devra être différente du tiroir 9 (le tiroir pulp). Il doit y avoir une narration naturelle. Qui ne s’appesantit pas sur le charivari. Un compte-rendu fait par une plume sans imagination, relatant juste les faits et chantant le courage des combattants, leur indifférence à la mort et à la souffrance. Dieu.
Tiroir 7/12 : la forêt de Thorellie
Pour se remettre, Valentine bascule tout le monde l’autre côté de la lisière. Tous les trucs soigneusement laissés de côté de la forêt magique sont repris ici. Sa nature. Son aspect. Ses liens avec l’infini imaginaire.
Promenade avec Valentine en compagnie de ses animaux. Elle leur montre tout un tas de coins étranges. Des cours d’eau. Des grottes. Des merveilles. Le résidu de l’éolienne, et le socle de béton laissé là où les animaux jouent quelques bribes des Brigands de Schiller.
(Lors de la rédaction, des idées concernant les divers thèmes apparaitront, que j’ignore pour le moment ; je devrai les ranger dans les tiroirs adéquats.)
Tiroir 8/12 : les animaux extraordinaires
Un tiroir pour s’amuser. Y seront écoutés Le Landru (loup de fer-noir), Le Mi-Louis (sanglier de ronces), La Delingette (chèvre de poussière), Vilhelm (un troll de bois et de mousse) et Pierre-Maxime (un blaireau de silex). Et l’oie, sans doute, bien qu’elle ne soit pas de nature extraordinaire. Peut-être ces bestioles seront elles malmenées vers la fin, éparpillées en ronces, silex, poussière, etc., annonçant les calamités pulp du tiroir suivant.
Tiroir 9/12 : aventures épuisantes
Dans ce tiroir-là, j’épuise l’idée de récit d’aventures aux péripéties inépuisables qui se télescopent sans répit. Faut vraiment que ça déborde, en une aimable caricature des histoires pulp. Un concentré d’aventures débridées et épuisantes. Un bloc. Ce tiroir est un livre à lui tout seul.
Bascule : la lisière de Thorellie est remuée comme le rideau d’une scène où bouillonne une pièce non désirée. La pièce au bois de Thorellie est envahie par un tas de trucs remuants qui ont l’air d’en vouloir au Conquistador. Loyola et une occurrence féminine (Catalina de Erauso) viennent seconder nos héros. C’est le bordel. J’ose quelque chose d’époustouflant. Sans doute une partie dans une forêt vierge & une partie dans un bateau & pour finir une robinsonnade.
Les personnages se retrouvent échoués sur un rivage. Ils se dépouillent de leur armure. Poncifs de robinsonnade & péripéties débridées. L’écrivain épuisé aimerait boire un citron pressé au Maquis. Hallucinations, présences dans l’île. Souterrains. Pyramide sacrificielle etc. Bourrer l’île de trucs et de machins – d’une île déserte, elle devient le tournage d’un film de Kusturica (y a encore la place pour deux chèvres et un ours sur la table !). Cadavre de baleine échoué. Trésor. Cannibales. Nouveaux-nés placés jusqu’au nombril dans des trous sur le sol. Sablier de chair transformée en poudre. Famine : ils mangent des poux, des taupes, des vers, de la terre, castrent des chiens sauvages et mangent leurs testicules, etc. Ils fabriquent des marionnettes animées avec des plumes d’oiseaux. Jusqu’à cette armure de géant trouvée sous le sable : la carcasse d’un sous-marin. L’île est un crâne géant à la tempe percée il y a très longtemps par le submersible (possibilité d’interprétation qui doit rester vague, simplement possible).
Nos héros épuisés retrouveront avec soulagement leurs pénates. Pendant une longue période, l’écrivain gavé de péripéties évitera la pièce en bois de Thorellie (qui est sa bibliothèque).
Ce ne doit pas être écrit comme un concentré pulp, mais comme un pur roman d’aventures sans aucune ironie. Il faut que le lecteur vibre vraiment. Se hisser au niveau de la bataille sanglante des Mines du Roi Salomon ou d’un John Buchan. Très peu de pages à lire mot après mot pour n’en pas perdre une miette, et non tartines à rallonges de feuilletoniste payé au retour à la ligne (ni truc du genre Club des sœurs Bronté contre le retour des fils de John Carpenter et de Stephen King). Voire à écrire l’affaire comme de la main de Cabeza de Vaca ou de Gabriel de Quiroga lorsqu’ils relatent leurs malheurs.
Tiroir 10/12 : Valentine et l’écrivain
Rapports entre la fillette et lui. Savoir qu’elle vieillit à mesure de l’histoire (en sus de pouvoir prendre des années désirées en s’appuyant sur le nez, si besoin est – par exemple pour conduire une automobile). Elle apparaît dans le marché de Villeneuve à l’age de huit ans. Et à mesure des scènes, elle vieillit. L’issue est réglée d’avance : l’inspiratrice disparaitra avec l’objet né de son inspiration. C’est la manifestation de l’arc dramatique.
Tiroir 11/12 : Le Conquistador et l’écrivain
Dialogue entre eux deux, maintenant que Valentine est proche de la disparition (lorsqu’elle s’endort, elle devient invisible même à l’écrivain ; il ne reste bientôt que ses deux souliers). Ils sortent boire des verres, se promènent dans la campagne apaisée. L’armure devient rouille, lambeaux de coton molletonné. Les écrits sur l’acier s’éparpillent avant que l’écrivain ne les ait tous déchiffrés. Et le Conquistador disparaît à son tour.
Tiroir 12/12 : l’écrivain se retrouve seul.
Mais des amis viennent et en chacun il y a un peu de la rouille du Conquistador. Le lecteur doit avoir la gorge serrée, comme dans la scène de la mort de sa femme dans Colas Breugnon. On offre à l’écrivain une bourse en œsophage d’oie qui contient de la poudre d’or. Il la répand dans le bassin où vivent quelque poissons rouges – dont un avec un bec-de-lièvre, qui est la dérisoire figure d’autorité de la mare.
Épilogue
La bibliothèque de l’écrivain s’est enrichie d’un nouveau volume intitulé Figure du Conquistador. Lorsqu’il veut le prendre, le livre tourne poussière. Quelque part derrière les planches de Thorellie retentit le rire juvénile de Valentine.