2021 / chapitre 4

Sans la montée artificielle de fièvre commerciale, on se rend compte qu’on en a pas grand chose à foutre de la sortie d’un blockbuster mondial.

Un forcené étouffe sa famille avec de la laine de roche en hurlant: Isolation à un euro ! Isolation à un euro ! Aux policiers qui le maîtrisent, il dit avoir obéi à une directive européenne qui lui parlait dans sa tête. Encore un cas de radicalisation téléphonique, conclura le juge.

De toute façon, soit t’es binaire, soit t’es non-binaire. (Ou, pour dire plus subtilement : de toute façon, soit t’es non-binaire.)

Les dynamiteurs Benjamin Whitmer. Un bouquin du genre noir, avec ses expressions qui tapent, mais qui se révèle trop peu entraînant. La moitié de la police de Denver était là, elle aussi, assise avec les clochards pour bouffer gratuitement. (p. 39). Bon dieu, je déteste quand il s’exprime par citations, dit Cole. Je peux pas faire confiance à un homme qui parle avec les mots d’un autre. (p. 85). Voilà, fondamentalement, ce qui fait qu’un pigeon est un pigeon : il se croit membre d’un groupe. (p. 155). Il y avait trois femmes inconscientes étendues sur les méridiennes. Ce n’étaient pas des putes, ça se voyait. Propres et pimpantes, complètement nues en dehors d’un léger vernis de sueur, toutes les trois blanches comme des carcasses dans la prairie. (p. 183). C’est vrai, quoi, j’ai toujours eu envie de voir un flic se faire tuer. — C’est pas aussi joli que tu le crois. (p. 222). Derrière le comptoir, une femme à tête de crachoir nous regarda avec ses petits yeux. (p.321).

Devs (Alex Garland) Les acteurs ont un bon texte à dire, concis et adéquat, et si certains plans ont tendance à se Terrence Malick-iser, là au moins, à chaque fois qu’un personnage dit Jesus, le sous-titre affiche Purée.

Un ex-édité par nous nos-zauteurs on les aime-gnagnagna.

Elle n’avait pas le popotin moisi.

La fracture (Nina Allan) Le livre s’appelle Fracture. Il parle d’une jonction. Plus on avance, plus ça s’entremêle pour une confusion étrange. Jamais on n’est perdu, jamais on sait exactement où on est. Il y a un écho du livre de Claire Duvivier, Un long voyage. — Qu’est-ce qui t’a fait revenir à Manchester ? demanda Selena. — La pluie. (p. 65). — Une xénométallurgiste ? — Elle est spécialisée dans les minéraux et les métaux qui ne viennent pas de la Terre. (p. 90).

Catherine et moi, on se rejoint sur l’essentiel. Du genre Oh celui-là, il sent grave.

Connaisseur blasé, impossible pour lui de se montrer surpris. Agilité d’esprit contre sens perdu de l’émerveillement.

Écrire, c’est écrire. Être publié, c’est dépendre d’un éditeur qui une fois empoché l’aide du SNL passe très vite à l’auteur suivant, d’un diffuseur qui t’escamote, d’un libraire qui a-do-re Jacques Saussey et la reprise inepte de Blueberry, d’un festival qui t’oublie dans la semaine qui suit ton prix, d’un lectorat qui dé-vo-re de la Bit-Lit et d’une blogueuse pour qui Stephen King, whaou.

Manuel de l’écrivain : lorsque tu écris, oublie ce qui s’est fait et les auteurs qui t’ont incité à écrire. Si ton récit croise vers quelque chose de déjà lu (sous forme d’un clin d’œil ou d’un hommage complice, d’un à la manière de), abandonne aussitôt, bifurque. Dès que l’ombre d’une œuvre ou d’un écrivain s’avance sur ta page, fuis.

La fantasy n’est pas un ailleurs, mais un ici traité avec liberté et les noms utilisés pour le singulariser sont composés avec les lettres les moins employées de la langue (le q, le k). Donc, la fantasy est une transposition du réel exécutée avec les lettres les moins utilisées de l’alphabet (et avec le redoublement de voyelles pour l’illusion d’en pouvoir créer d’autres).

2021 / chapitre 4

2020 / chapitre 42

Et ceci marqua la fin de toute une génération.

Le Guide et la Danseuse (R. K. Narayan) Un très beau roman. Vous savez, ces yogis sont parfois capables de se transporter jusque dans l’Himalaya rien que par la force de leur pensée… (p. 46). Toute une phrase alors qu’un mot aurait suffi (p. 100). Est-ce vrai, Swami, que c’est la bombe atomique qui assèche les nuages ?… Est-ce vrai, Swami, que le mouvement des avions disloque les nuages et que c’est pour cela qu’il ne pleut pas ? (p. 133). Tout cela me paraissait bien obscur mais je fis mine de m’y intéresser. J’aurais voulu poser des questions intelligentes, mais là encore le vocabulaire me faisait défaut. Je regrettais que l’on ne m’ait pas enseigné le charabia de toutes sortes de spécialités, cela m’aurait permis de frayer d’égal à égal avec les personnalités les plus variées. (p. 181).

Imaginales d’automne : les lauréats 2020 sont sur scène pour recevoir leur prix. Les lauréats 2019 sont la génération sacrifiée. Le manque de prévenance me lasse. Il faut que je cesse d’y penser, que je passe à autre chose. Le prix du roman aurait pu, aurait dû déboucher sur quelque chose. Frédérique Roussel aurait pu se fendre d’une articulet dans Libération, les organisateurs auraient pu en parler. L’éditeur aurait dû faire son travail, le lectorat aurait pu manifester de la curiosité. Je suis plus méconnu encore qu’avant le prix et les perspectives éditoriales à venir s’amenuisent tandis qu’on célèbre Thomas Geha pour le prix de la nouvelle, que Natacha Vas-Deyres se déplace pour accueillir Catherine Dufour, qu’on invite Christophe Thill. Estelle Faye file chez Albin Michel, Laurent Whale au Diable Vauvert, Laurent Genefort préfacier chez l’Arbre Vengeur. Geha est publié aux Humanos pour une BD (tandis que le beau travail de Dumas est ignoré par les éditeurs à qui nous avons passé le projet)… Une décennie d’approche du milieu aurait pu porter ses fruits. J’ai frôlé la reconnaissance. Femmes d’argile et d’osier, malgré le prix, n’a pas eu de lecteurs et la malveillance de l’éditeur à mon endroit l’a privé de sa reconnaissance chez un lectorat autre que celui, étriqué, d’imaginaire ; sa sortie en Hélios Poche m’a tout l’air d’être reportée à 2099, sinon annulée. Aurais-je dû me taire ? Non. Aurais-je dû prendre un pseudonyme après ma saillie contre Harmonia Mundi comme l’éditeur l’avait suggéré ? Non.

Nous partons en voiture chercher du vin à Migennes, Catherine, Yorgo et moi. Tandis que nous traversons la forêt, la conversation bifurque sur la fabrication du saucisson connu sous le nom de Jesus. Yorgo nous apprend que le boyau qui enveloppe le Jesus se nomme le bout du monde. Nous entrons à cet instant précis dans Bussy. Venant vers nous dans la rue étroite, un corbillard roule au pas, suivi d’une centaine de personnes. Je me gare et les laisse passer. Un homme hoche la tête pour me remercier d’avoir éteint mon moteur. Yorgo ajoute alors que ce bout du monde est l’extrémité de l’intestin appelé le bol fécal. Les gens passent lentement, très lentement, un à un devant la voiture et dieu seul sait combien nous avons lutté contre notre inconvenant fou rire.

Nous avons laissé la politique aux mains d’arrivistes crapuleux à l’égo malade et nous voudrions qu’ils gèrent des situations limites de manière sage, qu’ils nous offrent une alternative à leur crétinerie autre qu’extrême ? Pourtant, des gens avisés, il y en a.

Il y aurait tant de choses à dire qu’il vaut mieux ne pas tenter de le faire et laisser l’imagination silencieuse s’y ébattre.

Un livre doit être assez long pour que son esprit se révèle au lecteur.

2020 / chapitre 42

JOURNAL 2019 / Semaine 29

Semaine 29

lundi 15 juillet

Et tous les hommes d’une île close sur elle-même se réveillèrent un matin avec une vulve à la place du pénis. Les réactions furent nombreuses : certains remuèrent terre et ciel pour retrouver leur attribut ; d’autres palpèrent les femmes afin de savoir s’il s’agissait d’une interversion. Mais après s’être interrogés sur la raison de cette disparition, tous continuèrent à vivre sans plus se soucier de l’affaire. Après s’être abondamment mouillé les cuisses par étourderie, ils apprirent à pisser agenouillés.

Vu Juliette (Marc Allegret, 1953) avec Dany Robin, parfaite, Jeanne Moreau, exaspérante et Jean Marais qui joue très mal.

Tandis que je termine Tous mes potes sont des bâtards, le roman suivant bouillonne et se nourrit d’une accumulation de choses incertaines (cf. 28 juin) ; je perçois ce qu’il sera, car, pas même à peine préconçu et déjà insistant, il fléchit mes curiosités et me dicte, d’une manière cryptée, mes lectures. Les choses se rencontrent, s’exigent mutuellement, s’imprègnent et se nouent. Le processus m’hypnotise. Je suis bien loin d’être un écrivain de méthode ; je me laisse porter par le hasard et par les exigences que ce hasard suscite. Je ne pourrais pas fonctionner autrement. Il faut que ça vienne de l’en-deçà et que ça élabore sa propre forme. C’est le choix d’une contrainte multiple qui se dévoile de manière alambiquée. Je créée ainsi, ce qui éloigne de moi toute préoccupation de penser en amont à un éditeur… Me voilà bien.

Lu un Totem Gallmeister tout juste passable : L’enfer de Church Street (Jake Hinkson), pourtant recommandé par la libraire et Prix Mystère de la critique 2016. Faut-il qu’il y ait un flirt poussé avec le glauque pour s’attirer l’intérêt du lectorat moyen (cf. Thilliez) ?

mardi 16 juillet

Il ne restera aucune œuvre éternelle humaine dans un univers dépourvu de sens et de conscience.

Dans la France-caïman post-apo, décrire une communauté qui survit dans un territoire de silex.

mercredi 17 juillet

J’ai trouvé le ton pour la seconde partie de TMPSDB.

Tout à l’heure, j’ai songé à une histoire, je ne l’ai pas notée sur l’instant et voici qu’elle s’est évanouie comme le nuage de poussière du mardi 9 juillet – et pourtant, chaque élément est toujours quelque part dans mon esprit.

jeudi 18 juillet

La science, le crime, le pouvoir : tout est terrain de jeu pour qui se contrefiche de son prochain.

Vu Le trésor de la Sierra Madre (John Huston) et lu Le trésor de la Sierra Madre (B. Traven) : le scénario est au roman ce qu’une pintade est à une autre pintade, identique et autre. Ici une attaque de train, là un récit sur Maria ; ici un mort, là non. Une lettre lue qui décide du sort d’un des trois, une tendresse absente du livre. Une scène de résurrection plus appuyée ici que là. Il n’y a rien de plus différent que deux pintades.

vendredi 19 juillet

Cette nuit, je suis tombé amoureux de l’une d’entre vous. Nous nous serrions dans les bras pour ce qui était au départ une simple politesse, et puis, impromptu, me sont venus des mots : j’aime beaucoup ton visage et la politesse s’est muée en… Tu m’as dit toi aussi quelque chose de plus tendre et plus intime. Nous parlions du milieu où nous nous rencontrions, émettions quelques réserves communes. Tu restais contre moi et c’est ainsi que les choses se sont passées.

Vu The last picture show (Peter Bogdanovich) dans lequel on peut entendre Blue Velvet par Tony Bennett.

samedi 20 juillet

Du point de vue de la technique littéraire, le merveilleux s’accommode mieux du trivial que des généralités.

Un merveilleux sans apparition progressive : le merveilleux est ; l’objet du récit n’est pas sa transformation. Une histoire commencerait ainsi : un serial killer étripe ses victimes, récit traité au premier degré (voir au degré zéro de l’écriture de thriller) ; ce meurtrier, que cherche-t-il ? Encore un meurtre épouvantable, clinique – et là, changement de registre d’une brutalité inouïe, un seppuku narratif avec volonté de trahir à sec le lecteur, de le cueillir avec une surprise totale.

Contrairement à ceux (hors de portée des philologues) qui élaborèrent les mythes, Homère et tous qui viennent après lui ne croyaient pas à leurs merveilleuses élucubrations ; seul le merveilleux scientifique comporte encore une objective crédulité (c-à-d qui ne soit pas purement imaginatif) – voire la science moderne et ses échappées quantiques. Transmutation magie / moyens mécaniques (internes – externes)

Désobéir à la raison, c’est avant cela lui concéder beaucoup.

dimanche 21 juillet

C’est étonnant : lu Le merveilleux, la pensée et l’action (Pierre-Maxime Schuhl). Page 15, il parle du joli bronze de Praxitèle qui représente Apollon Sauroctone, c’est-à-dire tueur de lézard. Puis lu Les caprices du sexe (Louise Dormienne, alias Renée Dunan). Qu’y rencontré-je dans un bordel, page 150 ? Un Apollon tueur de lézards.

Que le passé nous réserve-t-il ?

JOURNAL 2019 / Semaine 29

Harry Dickson No. 186 / Le désert des chercheurs d’ordre

Fascicule paru chez Le Carnoplaste en 2010. Disponible ICI

Un homme apparaît dans la lande entre Launcethorn et Glamorgan, devant les fusils de chasseurs et perturbant une battue au gros gibier. L’individu a « l’air aussi idiot que le clerc de Strattle & Dumphries ». C’est le huitième ainsi apparu.
Il porte une fenêtre sur ses épaules.
Bien.
Et ensuite ?
Battue. Sangliers précipités dans une combe pour y être tués. Excédée, une laie monstrueuse s’égare dans la combe au point de se retrouver quelque part sous terre, « où une multitude d’yeux aveugles la suivent, figés dans la grisaille de leurs paupières géométriques. »
Ensuite ?
Un meurtre ― mais la victime n’est pas la bonne victime, pour preuve, la fenêtre.
Ensuite ?
Ensuite, Baragwanath Clinic, où nous retrouvons Harry Dickson, sa pipe et son tabac de Hollande et « l’œuf froid de sa montre posé sur sa chaîne ».
Que lit le Roi des Détectives ? « un ouvrage de Kipling contant les aventures de M’Tuck, Beetle et Stalky »…
Ensuite ?
Hé, hé…

Harry Dickson No. 186 / Le désert des chercheurs d’ordre

Harry Dickson No. 185 / Le Dieu inhabité

Fascicule paru chez Le Carnoplaste en 2009. Disponible ICI

En fouillant dans mes sauvegardes, j’ai retrouvé une version de cette aventure qui diffère sur bien des choses, au point qu’on peut raisonnablement parler de deux histoires : celle qui a été publiée et l’autre.
Certains personnages se retrouvent dans les deux, comme Auntie Daphné, qui vit sous un crâne – mais, dans la première, le crâne appartient à un gamin, Drewster Peeble, surnommé Sleugh ; dans l’autre, c’est celui de Jim Brokenskull ; la victime retrouvée dans le broyeur à branches n’est pas une femme mais un homme ; au lieu de retenir le lecteur à Londres, la seconde l’entraîne en Norvège.
On s’y exprime même en norvégien :
Auntie Daphné parla. Et même se répéta :
― Åpne døren for meg, Frue, er De snill.
― Policeman, dit Mary Biggins d’une voix blanche, il y a quelqu’un là-dedans.
Puis Auntie Daphné ajouta :
― Er De ledsaget av en politimann ? Ja? Så nå er altså mine lidelser endelig over.
Aujourd’hui, je suis bien en peine de savoir ce que disent mes personnages…
Il y a un pauvre gamin des rues qui subit bien des tourments : lui qui crève de faim,  lorsqu’une bonne âme lui refile un morceau de porc à manger, il découvre, après avoir raclé la viande avec ses dents pourries, qu’Auntie Daphné a gravé cette horrible injonction sur l’os : Kill yourself.
Plus je relis la seconde histoire et moins je comprends. Il y a tout un passage à bord d’un bateau qui dénote une connaissance de la navigation qui me fait défaut. Les personnages rallient Oslo sur le voilier appartenant à Edward van Buren, personnage de deux aventures du Roi des Détectives écrites par Jean Ray (Les vengeurs du diable et La maison hantée de Fulham Road) !…
Bon sang, d’où sort cette histoire ?  Qui l’a écrite ? Si je puis affirmer que certains éléments sont bien de ma main (ceux qu’on retrouve dans la version publiée), d’où viennent les autres ?
Je me perds en conjectures. Me voilà rendu à écouter parler les marins du yacht La Flandre :
― Max Meester, huit ans que nous naviguons ensemble… Ruyck Sparembek… Hans Falkenhayn, avec nous depuis l’Australie… Raymond Horlock, ah Raymond… ! Il a sauté sur les genoux de mon paternel !
― Nous ne nous sommes si peu quittés en tant d’années, précisa le marin.
― Tom Ghisquière, Walter Hasselt… Macao, les ondées levantines, Singapour…
― Et les Féroé, avec ce satané tjaldur qui en voulait à mon bonnet, rappela Hasselt.
― Teddy Blantyre, l’Australie toi aussi… Perth… trente six mois déjà.
― Trente quatre, précisa Teddy Blantyre.
― Bill Revinus… Richard Jervas… Herbert Weekes…
Edward Van Buren tourna vers Tom Wills.
― Expliquez-moi Tom. Avons-nous embarqué un clandestin ?
(Ah ! Tom va-t-il enfin m’expliquer d’où sort ce texte ?…)
Et Tom de conclure :
― Je suis perdu devant une malice si effroyable…
Zut. Ce n’est pas aujourd’hui que la genèse de ce texte me sera délivrée…Harry Dickson No. 185 - Le Dieu inhabité

Harry Dickson No. 185 / Le Dieu inhabité

Harry Dickson No. 202 / La treizième face du Crime

Fascicule paru chez Le Carnoplaste en 2009. Disponible ICI

Pourquoi avoir écrit les Harry Dickson dans le désordre (181/184/187 puis 182/183 et… 202) ? Pourquoi pas ? Au gré de mon humeur, de ce que la couverture m’inspirait.
Et donc, le No. 202 ?
On ne le distingue sans doute pas vraiment sur la reproduction de la couverture, mais la deuxième tombe porte le nom de Georgette Cuvelier. Pour ceux qui ne connaissent pas le Harry Dickson de Jean Ray, j’explique ceci, dans mon histoire :
« Nous laissons au lecteur averti des précédentes aventures du Roi des Détective le soin de s’en souvenir ; aux autres, ce paragraphe, afin de tracer à grands traits les éléments nécessaires pour apprécier l’étrange préoccupation de nos héros.
Georgette Cuvelier était la fille de l’épouvantable professeur Flax, le Monstre Humain si justement nommé et vaincu par Harry Dickson après d’intenses péripéties et au terme d’une ultime lutte souterraine dont aucun témoin ne put faire la relation hors le détective lui-même… Pour venger la mort de son père, Georgette monta la fameuse Bande de l’Araignée de sinistre mémoire, qui signait chaque abominable forfait d’une araignée d’argent niellé. Si la résolution des velléités criminelles de Georgette Cuvelier fut aisément scellée, il en fut tout autrement de l’Amour, car la jeune fille au caprice de femme avait en sus de cette vengeance, destiné au détective de déroutants sentiments.
Georgette était morte sans séparer le Crime de l’Amour. Dès lors, leur ultime tutoiement hantait chacune des nuits du détective, depuis cette fatale journée où, vaincue, elle s’était tuée avec l’arme qu’il lui avait laissée… »
Georgette Cuvelier, morte : quel beau personnage.
Ceci m’a entraîné dans une aventure chargée jusque là de figures et de péripéties qui me sont venues en cascade à mesure de l’écriture. C’est là que j’ai, plus encore que les autres, lâché la rampe et que je me suis laissé aller à inventer sans me préoccuper de la manière dont j’allais ficeler le tout à l’épilogue – ou pas. Qu’on en juge : seulement 32 pages, et, outre que « la Béguineuse Sanglante tenta de se pendre en tissant patiemment une corde avec la paille de sa geôle. Ce fut qualifié d’ingénieux – mais ne résista pas à son poids », vous trouverez :
un égorgeur notoire littéralement broyé par la reine Élisabeth 1re elle-même ;
une mécanique tueuse ;
le Lily Pound du révérend Buxton (ceux qui connaissent Londres savent qu’il est sur l’Embankment) empli d’acide ;
un « one-penny boat » fantôme ;
une pension de famille où on vénère l’if ; où ne se retrouvent que des assassins ;
nos détectives qui communiquent de toit en toit à coups de fronde ;
une reproduction du tableau de Burne-Jones, « Arming of Perseus » où les nymphes n’ont que quatre orteils ;
un chien qui fait tourner la broche dans la cheminée depuis son « dog-pit »
et, pour faire honneur à la couverture, un cimetière mécanique, bien entendu.
Le tout agrémenté de 13 meurtres – dont deux, sans doute le fait de Georgette Cuvelier
L’épatant est qu’il ne m’a fallu que trois pages pour livrer une explication qui se tient.

Fascicule Harry Dickson No. 202
Fascicule Harry Dickson No. 202
Harry Dickson No. 202 / La treizième face du Crime

Harry Dickson No. 183 / le secret de la Pyramide Invisible

Fascicule paru chez Le Carnoplaste en 2009. Disponible ICI

En dernière page, on y lit : « Ouvrage réalisé de * à * par les auteurs.
Dépôt légal mai 2009 – © Le Carnoplaste 2009 – Éditeur associatif emmascaradé à Sainte-Geneviève des Bois, Longues-sur-Mer et en bien d’autres *illeurs. »
Déjà, ces * en place de certains « a », ce qui nous amusait, Alain Letort et moi, lorsque nous échangions, au début, avant même que je songe au Carnoplaste.
Et ce verbe, « emmascarader » : je venais de m’offrir le Bertaud du Chazaud, les « synonymes et mots de sens voisin »…
Bon. Où en étais-je ? Ah oui : ce Harry Dickson là, très feuilleton, avec un personnage que je reprendrai un de ces jours : Sineus Belowzero, section des écrits à un penny, qui vit dans les sous-sols du British Museum, « parmi les tombereaux périégètes qui s’y entassaient, comme un troglodyte gourmand des primitives manifestations de l’esprit ».
Dans cette aventure-ci, il y a le Catharinien
« — Regardez. Voici votre figure tutélaire parfaitement rendue. Cette gravure a été réalisée par un disciple de Landseer. Bertillon lui-même ne saurait présenter plus scrupuleux portrait. Voilà à quoi ressemble Nooknock.
— C’est un singe, dit Tom Wills.
— Nooknock, un singe ? Aha !…
Shuttleworth frappa la page de sa main retournée comme s’il talochait un ignare.
— Un singe !… Et vous, vous êtes un hominien tout comme les deux niaises du rez-de-chaussée, s’emporta-t-il. Pourtant ne sentez-vous pas ce qui vous sépare d’elles ? Ou ce qui sépare nos deux propres complexions ? Nooknock est au singe ce que je suis aux Carstairs. C’est un primate évolué, un Catharinien de l’Ancien-Monde, selon la classification géographique en vigueur. Peut-être un spécimen de cet ordre mythique des Archencephala cher à Richard Owen. »
Et là encore, des tatouages sur la figure – celle du détective, cette fois-ci. Qui est responsable ? Le singe, pardi. Enfin, Nooknock, le Catharinien
Et l’histoire trouvera son dénouement grâce à un feuilleton…
Et la Pyramide Invisible du texte ?
Par une illumination de dernière minute, je l’ai trouvée ! Ce qui n’était pas gagné. Elle y figure. Sans entourloupe.

Le secret de la Pyramide Invisible
Le secret de la Pyramide Invisible
Harry Dickson No. 183 / le secret de la Pyramide Invisible

Harry Dickson No. 182 / le Baal des psychonautes

Fascicule paru chez Le Carnoplaste en 2009. Disponible ICI

Un texte écrit il y a presque dix ans. Je ne me souvenais pas combien je l’ai truffé de références et de clins d’œil.
Londres. Des enfants disparaissent en grand nombre, « engloutis par des failles noires ». Scotland Yard est sur les dents. Puis les disparitions cessent. Et Harry Dickson envoie Tom Wills en repos sur la côte, à Tyldesley-the-Sea. Tom s’ennuie, écrit un mirliton à Dickson :

Cher Maître,
Bien las du Morne Repos & du Grand Air…
A quand du Sang, du Crime & du Mystère ?

Tom écrit cela sur une carte postale vendue par un démarcheur. Dickson la reçoit. Il la lit et tombe en catalepsie. Vache de mince, ai-je pesté après avoir écrit ce début. Comment vais-je m’en sortir.
Tyldesley-the-Sea
, c’est Port-en-Bessin Huppain, dans le Calvados. Jeune, j’y allais avec mon frangin pêcher des sardines à la dandinette, cette ligne aux hameçons multiples qu’il suffisait de descendre au passage d’un banc. Les rues décrites sont celles qui existent, les descriptions sont précises : « ici et là, une étroite fenêtre éclairée d’une falote bougie pelait d’amphiboles la surface du granit ».
Le sémaphore, d’où Harry Dickson communique avec son élève, existe. Ainsi que cette « tour Calfbanns », traduction perverse (dont j’ai oublié la clef) de la véritable tour Vauban, sur les hauteurs du port.
Mais il y a plus.
L’histoire mène nos héros de l’autre côté de la Manche, en Normandie. Ils y vont en avion, piloté par une vieille femme qu’on croisera, je crois, dans une autre histoire (je ne sais plus laquelle) : Mimi Mumby. Ma belle-grand mère maternelle, délicieuse créature qui « me lavait le gland avec le côté vert de l’éponge », disions-nous pour rigoler avec le frangin.
Mais il y a plus encore.
Ils se rendent chez Archie Furse, un limier-saucier. « Ou Kurpius Kneebone, Arnoulds-Moreau, Ebenezer Mayland, Elius Corne… Tant d’autres et non des moindres, comme Alceste Mirabelle, le célèbre saucier de Saint Lô. Et même l’un des Pierrepoint lorsqu’il s’avéra nécessaire de soustraire Miss Samarkand Frith à la potence ». Ce personnage est en réalité Alain Letort, peintre des couvertures sous le nom d’Isidore Moedúns. « Archie Furse frotta d’une paume matelassée de fumée de tabac ses courts cheveux blancs » (à l’époque, il fumait encore). Nous pénétrons chez lui. Je lui fait dire : « J’aime remettre les escrocs à la maréchaussée », lui qui n’aime pas la maréchaussée ; je le fais conduire de manière sportive, lui qui conduit calmement ; il parla anglais… Bref, je m’amuse. « On décide d’emmener le faussaire. Il fut détaché de la salamandre. De son passage chez Archie Furse, il ne resta que son contour tracé par les cordelettes sang-de-bœuf laissées sur le sol. » : à cette époque, Alain peignait des drôles de toiles où ne restaient des personnages que des cordelettes.
Mais il a autre chose.
Le passage vers la ville, double de Tyldesey-the-Sea en Normandie, est un endroit nommé « Le Trou-du-Diable ». Cet endroit existe, je l’ai visité. C’est une ancienne carrière d’ardoise près de Balleroy. Qui veut vérifier le trouvera : il suffit réellement de passer sous un sentier pour y accéder.
Après ces pas de côté, pour la fin de l’histoire, nous sommes dans la réalité vraie. Le coupable « qui se dissimule derrière le visage d’Harry Dickson » a bel et bien existé : c’est Edmond van Daële, un acteur. Cherchez et vous trouverez le rapport qu’il entretient avec le Roi des Détectives via Raymond Plaissety, de la Gaumont…
La couverture m’a donné des suées. Ce « Rosebud »… et ces failles noires…
Ces failles qui mangent décor et personnages, pour m’amuser, j’en ai placé une à la toute fin du texte : elle en dissimule les mots. Il faudra donc attendre la réédition en Hélios noir pour pouvoir les lire.
Et puis et surtout, les descriptions de cette Normandie noire est un hommage au travail mon père, peintre-graveur (taille-douce), à travers le personnage nommé Barnabé Clermusot : « Ici et là une barrière de bois découpait les cieux gris d’une géométrie primitive » ; « une chapelle blanche, décharnée, cartilage enseveli sous les ronces » ; « Perçant les talus, apparaissaient les bouches noires de multiples chemins sombres, ouvertes comme sur des cris creusant la campagne. Des pommiers tordus par d’incessantes tempêtes lançaient leur ramée gesticulante vers les nuages » … (Le lecteur curieux ira ici ou .)
Je m’amuse avec les citations : chaque dernier chapitre a la sienne. Là, c’est celle-ci :
S’il a lu Keats, c’est l’éther chlorique. Sinon, c’est le même bacille ou la même onde hertzienne de la tuberculose, plus Fanny Brawne et le statut professionnel qui, conjointement avec le courant principal de la pensée subconsciente commune à toute l’humanité, a momentanément fait surgir un Keats induit.
C’est de Rudyard Kipling. A l’époque, je m’étais offert ses œuvres dans la Pléiade. J’ai lu les quatre volumes page après page. D’où j’ai tiré ceci, je ne le sais plus, il faudrait que je relise tout Kipling… Mais ceci est une autre histoire… (*)
—–
(*) C’est dans « Wireless » (Sans-fil). Retrouvé grâce à Jane Campion et son parfait « Bright Star ».
Harry Dickson No. 182 / Le Baal des psychonautes

Harry Dickson No. 182 / le Baal des psychonautes

Harry Dickson No. 187 / Le réveil du chronomaître

Fascicule paru chez Le Carnoplaste en 2008. Disponible ICI

Ah ! J’habite au seuil de la forêt d’Othe. Je dois la traverser sur une dizaine de kilomètres pour aller au cinéma ou pour faire les courses. Dans un virage il y a un banc, installé là par le grand père du voisin éleveur de pintades. Au milieu de nulle part. A chaque fois que je passais devant, je me disais : « quel formidable début de récit : assoir Harry Dickson là, au milieu de la forêt… et attendre que l’aventure se présente ».
Ce fut l’impulsion de départ du « réveil du Chronomaître ».
Ce qui est amusant, c’est que le lecteur n’en trouvera pas trace dans l’histoire. En prologue Harry Dickson et son élève sont bien assis (du moins Tom Wills) mais dans un « établissement fameux de Soho, tenu par Knurl Slomow et nommé le Swizzle’s Schouteet »
Moi seul sait que le bois de ses poutres vient de la forêt d’Othe…
J’ai également détourné une architecture proche d’ici : dans l’histoire, il y a le quartier de « Washer’s hole », une sombre résurgence, une fosse aux eaux insondables. En réalité, c’est la fosse Dionne, à Tonnerre, bien connue de l’illustrateur Philippe Jozelon, qui peut la contempler de ses fenêtres. On la retrouve aussi dans une nouvelle d’Hebna Calde, où on en ressort le corps d’un plongeur étranglé à mains nues dans son propre scaphandre.
Autre chose : afin de nourrir mon récit d’une impression de réalité, la saison de mes histoires est la saison de son écriture. Si je l’écris en avril, ce sera le printemps sur le papier. Là, c’est au cours d’un hiver glaciaire qui enserre Londres. J’ai donc écrit l’affaire pendant l’hiver 2007, je pense. En règle générale, il me faut un mois pour écrire une aventure. Les premiers chapitres viennent lentement. J’élucide le mystère de la couverture-contrainte. Puis, à l’avant-dernier chapitre je décide de qui est le coupable. Ensuite, j’abandonne l’histoire pour autre chose. Et j’y reviens une semaine plus tard. Là, j’ai laissé le lecteur sur une incertitude totale. Seul un discret pictogramme en forme de main lui indique qu’il y aura une suite.
Je l’ai laissé patienter presque deux ans avant de conclure l’affaire avec « Le fil à couper le cœur ».
Fichu temps… Il y a des naufragés dans Hyde Park, qui ne peuvent retrouver le chemin de la City ; il y a un chasseur de daims ; « Big Ben lâch[e] son onzième coup, œuf parfait déposé dans les langes du Chaos »…
Les deux détectives ne peuvent résister à l’appel d’un homme mort qui revient les voir et dont la neige fond sur le crâne… car s’y loge un paysage (celui, bien sûr, de la couverture).
Alain Letort m’a dit que mon Londres était épatant. Alain aime la surprise de mes histoires : il a peint ses couvertures sans se soucier de ce qu’elles cachent. Le plaisir est grand de le surprendre à chaque aventure. Je le vois s’enfoncer dans la peinture, sur des chemins qu’il n’avait pas soupçonnés d’exister lorsque son pinceau les a peints.
Le personnage de Pictor Cellerimus est un clin d’œil que je lui adresse.
Je crois bien que cette histoire est l’enquête la plus étrange de mon Harry Dickson.

Harry Dickson No. 187 - Le réveil du Chronomaître

Harry Dickson No. 187 / Le réveil du chronomaître