Note d’intention : 2020 est différente de 2019, je ne la suis pas jour à jour, mais semaine à semaine et livre à livre. Plus d’autres cabrioles de mon esprit superébouriffant.
Voyons voir, notons ce qui est en cours en ce premier jour de l’année, histoire de se retourner sur quelque chose le 31 décembre prochain… Romans : Chroniques de Caïman, Micmacs au Maquis, Retour sur Mars, Le Chevalier Compost. Nouvelles : Insurrection, Aventure sans pareille d’un certain Bluddennuff, Le son du bûcher (la Reverdie). (Titres de travail.)
Rouge impératrice (Léonora Miano) : écriture un peu déconcertante, pas de dialogues (ou très peu et en italiques dans le corps du texte). Paragraphes denses et longs, terminés selon une logique de rupture particulière. Cela requiert une attention soutenue. Je ne sais si c’est propre à ce livre, n’ayant pas lu autre chose de Miano. En tout cas, c’est prenant et ardu à la fois, il est évident qu’on nous demande un effort. Pour l’heure, j’en suis récompensé. L’auteur glisse des réflexions justes et sa Katiopa, Afrique unifiée de 2124 (ou 6361 selon le calendrier en usage) ayant gommé le colonialisme, est parfaitement aboutie. Nous en prenons pour notre grade, avec des baffes absolument précises : Les Sinistrés (nous, donc, Européens) accordaient une importance immodérée au phénotype qu’ils investissaient de significations les plaçant au sommet de l’espèce humaine. On ne savait pas trop d’où cela leur était venu. Le Sinistre, vers lequel ils s’étaient dirigés au cours des siècles sans s’en apercevoir, avait aussi eu sa source dans cette perception erronée de soi et des autres : l’invention de la race. Pouvait-on guérir d’une pathologie de l’âme aussi ancienne ? (p. 65). Tous les territoires de Katiopa ne sont pas unis toutefois : leurs dirigeants se prévalaient d’une histoire incompatible avec l’unité. (p. 83). Dans ce ton docte et juste, il y a tout de même une mention d’esprits : la parole était à Makonen, qui avait élu domicile dans le corps gélatineux d’un palmier sauvage. (p. 130). On parle même (p. 134) d’un spécimen devenu rare de femme-escargot. Un Sinistré en T-shirt et bedaine passe : Un tel accoutrement était au delà du sacrifice : une requête en bannissement. Puis : Pour assouvir leur insatiable faim de richesses matérielles, ils avaient développé une stupéfiante agressivité, un esprit retors interdisant que l’on se fie à eux. Et : la morgue qu’ils affichaient à l’égard des structures nouvelles, trop enracinées d’après eux dans un primitivisme précolonial. L’un des personnages écoute les Bee Gees ; le type en question, Igazi, s’en sert pour rester en colère et là, Miano joue du clin d’œil au présent avec plus de talent que Damasio dans son désolant Furtifs ; elle traque le rapt culturel commis par les frangins glapissants : Tout en groove et en falsettos apolitiques en apparence, les frères Gibb lançaient un message, non pas de fraternité entre les peuples, mais de dissolution des vaincus dans l‘univers de leurs oppresseurs. (p. 150). Et arrive plus loin la basse de Stayin’ Alive qui finit de mettre en rage cet Igazi. Boya et Ilunga deviennent non pas invisibles à proprement parler, mais… furtifs grâce à leur volonté – et une amulette (p. 172).
Du sang dans la sciure (Joe R. Lansdale) : pour l’instant un cran en dessous des Marécages lu avant.
Début de nouvelle : « Les défunts, affirma xxx, se tiennent sur les rivages ». Le fait que des esprits mènent une existence parallèle à la nôtre peu paraître incongru. Néanmoins, on le conçoit avec plus d’aisance lorsqu’il est dit qu’ils préfèrent les rivages.
Rouge impératrice : Ilunga présente Boya à ses parents – morts : Non, elle n’était pas effrayée, mais c’était tout de même une entrée en matière un peu particulière pour un rendez-vous galant. (p. 177). Plus loin, Miano rejoint Lansdale : Tous deux auraient à leurs trousses les fouineurs les plus chevronnés de la Sécurité intérieure, on sentirait l’odeur de leurs pets avant qu’ils aient eu besoin de les expulser. (p. 204). À propos de Seshamani : Son excentricité venait de ce pouvoir sans cesse reconduit. (p. 226). Puis : Les puissants protégeaient leurs privilèges sans avoir les uns à l’égard des autres la moindre bienveillance. (p. 227).
Chaque dirigeant mondial est une source potentielle ou effective de désordre. Offrons à chacun d’entre-eux un ou deux drones, qu’ils ciblent leurs homologues honnis – et la planète se trouverait non pas à feu et à sang, mais apaisée.
À quoi sert de vouloir écrire quelque chose d’autonome puisque les mots par eux-mêmes créent un sens impromptu ?
Nous vivons dans les ténèbres et la seule lumière que nous regardons est celle de l’écran (approx.) dans Ride upon the storm S02E03.
La grande belleza (Paolo Sorrentino) : Rome vidée, privatisée pour que la classe huppée s’y languisse existentiellement. Un bonne idée : la visite, de nuit, d’un musée où l’on a juste le temps de voir les peintures tirées des ténèbres par la flamme des bougies.
Aimons-nous tant être trahis, que nous n’agissons pas contre nos dirigeants ?