2020 / chapitre 5

Blind Lake (Robert Charles Wilson). En le lisant, ai songé qu’en SF, certains objets, quoique futuristes ou étrangers (un casque transpondeur) ont une réalité indéniable alors que d’autres trahissent une essence conjecturale encore sans vrai support physique (là, dans ce bouquin écrit en 2003, une bibliothèque connectable). Plus loin (p. 130) : C’est comme si on jouait à faire semblant, vous ne trouvez pas ? Semblant de vivre dans un monde sain d’esprit. Ou d’avoir des boulots qui servent à quelque chose. — Appelez ça un acte de foi. Chapitre XXII de haut vol. Saisi en vrac : Respecter les limites légales pour éviter de se rendre vulnérable. / L’objet tacite de tout travail est un récit. / Une hypothèse est un récit préliminaire. / Une embuscade montée par un algorithme. Et surtout : Les rêves infusent notre existence. Nos plus anciens ancêtres ont appris à jeter un épieu, non sur un animal en train de courir, mais sur l’endroit où cet animal en train de courir se retrouverait lorsque l’épieu aurait traversé les airs à une certaine vitesse. Nos ancêtres sont arrivés à cela par l’imagination, non par des calculs. Autrement dit : en rêvant. (p. 322). Et p. 422, mention d’une chaîne d’actes charnels la reliant à l’ancêtre commun de tout ce qui vivait sur Terre.

Les braises (Sándor Márai) : passer sciemment d’un roman SF contemporain à un drame grand-bourgeois écrit en 1942, c’est comme frapper brutalement ensemble deux silex, les étincelles produites dessinent tout de suite les frontières narratives de chacun, leur territoire, et la tentation est grande de s’imaginer introduire les éléments de l’un dans l’autre. Le Sujet observé par l’Œil quantique sur UMa47/E vient dans le château de Hongrie où le vieux général attend son ami Conrad, qu’il n’a pas vu depuis quarante ans à la suite d’une brouille. Ce qui aurait été vraiment intéressant, c’est d’imposer l’écriture de cette substitution à Sándor Márai – pas à Robert Charles Wilson qui n’aurait eu aucune difficulté à la conceptualiser. Dans les braises : À quatre-vingt dix ans passés, on vieillit autrement […] on vieillit sans se sentir offensé. (p. 15). On y croise une aristocrate désabusée au visage surchargé de fards rouge et bleu qui lui donnaient l’air d’un cacatoès. (p. 43). Nous sommes des Occidentaux, ou tout au moins des immigrants qui se sont fixés en Occident. (p. 123). Tu n’ignores pas qu’il y a deux façons de regarder les choses, soit avec des yeux qui découvrent ce qu’ils aperçoivent, soit avec des yeux qui prennent congé. (p. 171). Sinon, l’histoire dresse le portrait d’un vieux militaire austro-hongrois qui a gâché son existence en se persuadant que son épouse l’a trompé avec son ami et que cet ami a trahi leur amitié. Quarante ans de ruminations. Il semble que ce ne soit pas vrai, qu’il ait bâti cela sans aucune preuve formelle, par une inclination perverse de l’esprit. Le récit est un dialogue le temps d’un repas. Périlleux et bien mené.

La grippe est une épidémie. Les soldes sont une épidémie, les suffrages des candidats aux élections sont une épidémie.

Qu’avez-vous dans votre bibliothèque ? — Essentiellement de la littérature bancale.

À son prochain déplacement public, chacun d’entre nous passera le cordon de sécurité en ayant un élément dissimulé comme pièce de son sac (fermoir, montant, etc.) ; une fois parmi la foule, nous nous passerons les éléments de main à main ; ainsi, nous assemblerons l’engin au nez et à la barbe des policiers ; le tireur disposera de l’arbalète reconstituée ; il la lèvera vers la cible et décochera le carreau. Qu’il vise la nuque, la flèche sortira par la bouche : comme à son habitude devant les Gueux, le Président l’aura grande ouverte et nous verrons enfin le bois dont est fait sa langue.

Blackrock (fonds de pension) / Blackwater (mercenaires).

Ford vs Ferrari (James Mangold) : Quand Hollywood retrouve le plaisir de jouer aux petites voitures à plat ventre sur la moquette.

Chroniques d’un rêve enclavé (Yal Ayerdhal – je n’ai encore rien lu de lui) : comment aborde-t-on un roman ? De quelle manière l’intrigue émerge-t-elle du fatras des premières dizaines de pages, avec tous ces personnages, cet arrière plan politique, cette géographie à assimiler ? À quoi s’attache-t-on ? Quel fil ? Le plaisir exaspérant d’être projeté – encore – dans une réalité fictive complexe ? Le ton de la narration ? Certaines saillies qui plaisent à l’esprit ? Recherche-t-on avant tout une complicité avec l’auteur, une familiarité qui amoindrit de fait le dépaysement consenti ou supporté ? L’histoire telle qu’elle m’apparaît à mesure : certains (La Ghilde) consolident à long terme leur mainmise effective sur le monde, tandis que d’autres se replient en résistance pour tenter de survivre localement à l’hiver. À priori, les seconds sont noyautés par les premiers. Je m’attends à ce que les résistants luttant contre la famine et les rapines meurent sur leur litière de désespoir et d’acuité intellectuelle – ils sont en réalité délibérément et stratégiquement plongés par la Ghilde dans cette situation. Pour l’instant, c’est un peu confus, les personnages et le substrat, et je retrouve cette confusion jusque dans la description du combat dans l’auberge (le combat dans une auberge est un mème en fantasy comme chez les mousquetaires). La magie de Mescal m’a plu, au seuil de l’irrationnel, comme mise en scène avec un culot de cinéaste asiatique. La parole et la force s’affrontent. Miettes de règles disputées entre affamés contre loi des compagnies (p. 85). Page 97, on parle de la Colline et de ses deux mille ans d’histoire. Nous sommes donc dans une transposition fantasy d’un monde ayant l’âge exact du nôtre ? Page 98, est énoncé clairement ceci : Après l’agression contre les Enselvains, nous nous sommes demandé comment lutter contre le froid, la faim et les pillards. Parleur a proposé de barricader les accès à la Colline et d’organiser un système collectif pour nourrir tout le monde. Le personnage-écrivain Karel est la parole des personnages. L’auteur, donc. La répartie d’un athée est plus stimulante que celle d’un prêtre. La tentative des Collineux (les enclavés) pour construire (ou arracher à autrui) les conditions de leur survie paraît l’écho bricolé, local et désespéré du Dogme qui (c’est Karel qui cause) : est une hiérarchie qui entend ordonner le monde à sa convenance. Rôdent des animaux-miroirs des nôtres comme le phacoche, le pandours, le musqué et le gondin, le veau de tourbe et le dindon palmé. On bascule vers l’affrontement guerrier entre les Collinards et ceux alentour, pour se nourrir. La noblesse ne paye pas l’impôt, elle en vit ! (p. 136). Le passage où Parleur évite l’affrontement avec Le Guévian est très réussi (p. 142 à 149) ; ses paroles sur la guerre (une banalité qui nous contraint à remplacer ce que nous avons détruit par ce que d’autres détruiront, etc.) s’allie au showbiz du magicien ; sans showbiz, pas de sidération par la parole, même sentencieuse ? Les inserts concernant la Ghilde, ses buts et stratégies sont très didactiques. Comme la description d’une mécanique de pouvoir non assujettie aux aléas. Et qu’il soit préférable de devoir mater un soulèvement plutôt que de chercher à éteindre une subversion. (p. 217). La narration est sage, obéissante : rien ne déborde le propos.

La raison se nie elle-même raisonnablement.

2020 / chapitre 5

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