Et ceci marqua la fin de toute une génération.
Le Guide et la Danseuse (R. K. Narayan) Un très beau roman. Vous savez, ces yogis sont parfois capables de se transporter jusque dans l’Himalaya rien que par la force de leur pensée… (p. 46). Toute une phrase alors qu’un mot aurait suffi (p. 100). Est-ce vrai, Swami, que c’est la bombe atomique qui assèche les nuages ?… Est-ce vrai, Swami, que le mouvement des avions disloque les nuages et que c’est pour cela qu’il ne pleut pas ? (p. 133). Tout cela me paraissait bien obscur mais je fis mine de m’y intéresser. J’aurais voulu poser des questions intelligentes, mais là encore le vocabulaire me faisait défaut. Je regrettais que l’on ne m’ait pas enseigné le charabia de toutes sortes de spécialités, cela m’aurait permis de frayer d’égal à égal avec les personnalités les plus variées.
Imaginales d’automne : les lauréats 2020 sont sur scène pour recevoir leur prix. Les lauréats 2019 sont la génération sacrifiée. Le manque de prévenance me lasse. Il faut que je cesse d’y penser, que je passe à autre chose. Le prix du roman aurait pu, aurait dû déboucher sur quelque chose. Frédérique Roussel aurait pu se fendre d’une articulet dans Libération, les organisateurs auraient pu en parler. L’éditeur aurait dû faire son travail, le lectorat aurait pu manifester de la curiosité. Je suis plus méconnu encore qu’avant le prix et les perspectives éditoriales à venir s’amenuisent tandis qu’on célèbre Thomas Geha pour le prix de la nouvelle, que Natacha Vas-Deyres se déplace pour accueillir Catherine Dufour, qu’on invite Christophe Thill. Estelle Faye file chez Albin Michel, Laurent Whale au Diable Vauvert, Laurent Genefort préfacier chez l’Arbre Vengeur. Geha est publié aux Humanos pour une BD (tandis que le beau travail de Dumas est ignoré par les éditeurs à qui nous avons passé le projet)… Une décennie d’approche du milieu aurait pu porter ses fruits. J’ai frôlé la reconnaissance. Femmes d’argile et d’osier, malgré le prix, n’a pas eu de lecteurs et la malveillance de l’éditeur à mon endroit l’a privé de sa reconnaissance chez un lectorat autre que celui, étriqué, d’imaginaire ; sa sortie en Hélios Poche m’a tout l’air d’être reportée à 2099, sinon annulée. Aurais-je dû me taire ? Non. Aurais-je dû prendre un pseudonyme après ma saillie contre Harmonia Mundi comme l’éditeur l’avait suggéré ? Non.
Nous partons en voiture chercher du vin à Migennes, Catherine, Yorgo et moi. Tandis que nous traversons la forêt, la conversation bifurque sur la fabrication du saucisson connu sous le nom de Jesus. Yorgo nous apprend que le boyau qui enveloppe le Jesus se nomme le bout du monde. Nous entrons à cet instant précis dans Bussy. Venant vers nous dans la rue étroite, un corbillard roule au pas, suivi d’une centaine de personnes. Je me gare et les laisse passer. Un homme hoche la tête pour me remercier d’avoir éteint mon moteur. Yorgo ajoute alors que ce bout du monde est l’extrémité de l’intestin appelé le bol fécal. Les gens passent lentement, très lentement, un à un devant la voiture et dieu seul sait combien nous avons lutté contre notre inconvenant fou rire.
Nous avons laissé la politique aux mains d’arrivistes crapuleux à l’égo malade et nous voudrions qu’ils gèrent des situations limites de manière sage, qu’ils nous offrent une alternative à leur crétinerie autre qu’extrême ? Pourtant, des gens avisés, il y en a.
Il y aurait tant de choses à dire qu’il vaut mieux ne pas tenter de le faire et laisser l’imagination silencieuse s’y ébattre.
Un livre doit être assez long pour que son esprit se révèle au lecteur.