Ces plans sont une évocation vague et incomplète de ce qui remplira les tiroirs. Il y aura tout un tas de trucs à déplier selon l’inspiration. Entrecroiser les fils narratifs, comme pour une tapisserie dont l’élaboration est suivie de trop près. Avec le recul, le truc apparaît. Comme dans Les livres de Jakób (1000 pages, des dizaines et des dizaines de personnages, une narration embrouillée, décousue – et soudain, le sujet du tableau est là, vaste et minutieux).
Tout ce tiroir se passe chez l’écrivain. Il doit faire avec les visites d’amis, les survenues impromptues. Les obligations journalières. De fait, il est aspiré par l’affaire, il s’absorbe dans le travail de compréhension et de restitution d’un récit et néglige le réel. Et Valentine, gamine imaginaire, s’emploie à le lui rappeler. Enfin, plus ou moins, à sa manière, en brouillant les pistes. En jouant avec la nature de ce qui forme le réel et la nature de son contraire.
Au départ, l’armure est vide. Juste de la rouille. Puis elle s’emplit de sang coagulé (cf. les idoles des temples de Huitzilopochtli et de Tezcatlipoca, graines pétries avec le sang de victimes vierges exprimé de leur cœur encore palpitant, dont on forme une masse plus haute qu’un homme). Et quelqu’un naît à l’intérieur. Un visage apparaît entre le casque et le plastron.
Il faut voir que lorsque l’armure sort du sol, l’écrivain l’assimile par défaut à ce qu’il connaît de ce genre d’objet : l’armure est un conglomérat de ce qu’il sait – vaguement. Son ignorance la détermine.
Paragraphes sur la naissance effective de la personne-dans-l’armure. Conquistador : homme/femme ? – lien avec le/la pianiste des Pas dans la neige – ou pas. Complicité Valentine/Conquistador qui échangent des messes basses en excluant l’écrivain de leur jeu. Elle semble s’amuser avec la notion d’Amazone (cf. Queen Calafia de Montalvo). Dialogue entre elle et elle/lui, où elle le/la mène par le bout du nez – et lui promet de visiter un jour avec elle/lui la Californie.
Intégrer dans ce tiroir les éléments déjà pointés en tiroir 1. Prolonger l’affaire. Le truc à développer est : y a-t-il assez de place pour loger à la fois le réel et l’imaginaire dans un même lieu ? Quid de ce croisement ? La campagne du pays d’Othe ne va pas tarder à en faire les frais (cf. tiroir 6). Comme si le réel tentait de reprendre ses droits sur le récit. Jouer avec le trivial. Prix d’une bière au comptoir, courrier, pneus qui brûlent à la Borde-à-la-Gousse, tracas d’une journée ordinaire…
Combiner les soirées-crépuscule avec la gestation du Conquistador. Les trois protagonistes assis dans le jardin à regarder les chauve-souris entrer et sortir de la grange. Migration des grues dont le cri retentit au-dessus de la forêt d’Othe. Toucher au merveilleux. Et arrive une copine de Valentine : l’oie qui aime boire de l’huile de vidange. Qui précède d’autres bestioles (à travers la lisière de la forêt de Thorellie dans la bibliothèque et qui sortent le rejoindre dans le jardin par la porte, à la grande surprise de l’écrivain qui voit débarquer la ménagerie depuis chez lui) : Le Landru (loup de fer-noir), Le Mi-Louis (sanglier de ronces), La Delingette (chèvre de poussière), Vilhelm (un troll de bois et de mousse) et Pierre-Maxime (un blaireau de silex). Valentine glisse que tous ont un nom dérivé de ceux de tueurs patentés ayant sévi dans la région. Elle oppose (ou place flanc contre flanc) le réalisme magique et les connaissances livresques. Tout cela ressemble aux fées qui se penchent sur un berceau – celui du Conquistador. Ce qui amène le tiroir suivant.
Tiroir 4/12 : l’écrivain et ses lectures face au merveilleux
Les livres sont là où il puise ses explications du monde. Exclusivement, lui démontre l’espiègle Valentine. Toutes ses tentatives d’historiciser le Conquistador se réfèrent aux livres qu’il a lus (cf. la bibliographie). Valentine le tarabuste en sortant de sa bibliothèque des ouvrages qu’il ne savait pas posséder, et elle déniche et lit à haute voix des possibles explications de l’armure dans des contes (qu’elle invente sur le moment, tout comme elle fait apparaître les livres en capturant dans sa main la poussière des étagères – ce qui annonce l’épilogue). Le Conquistador n’est peut-être pas Hernán Cortés. Pourquoi pas Pizzaro ? Vasco Nunez de Balboa ? Pourquoi pas le Pérou ? Pourquoi pas Loyola, Cabeza de Vaca, Aguirre ? Pourquoi pas un tank Sherman possédé par l’esprit de la Christine de Stephen King ? Pourquoi pas Amadis de Gaule ou les Chevaliers de la Table ronde ? – et là elle bifurque vers des contes. Elle sort Books of the Brave et s’appuie sur quelques phrases pour rire de l’écrivain. L’écrivain fait œuvre de modestie. Il reconnaît avoir des connaissances fragmentaires et ne tirer des livres savants qu’il lit que matière à élucubration. J’aurais fait un universitaire lamentable, avoue-t-il. Valentine lui démontre que les élucubrations peuvent trouver leur source ailleurs (dans les ronces, la poussière, les silex, le fer-noir ou le bois – et moindrement dans l’huile de vidange d’un vieux tracteur), car elle est secondée par ses six amis-animaux, ce qui fait un drôle de cercle littéraire (enfin cinq, l’oie – qui est une vraie bête réelle – cancane et cherche de l’huile). Chacun y va de son histoire, comme dans les Contes de Canterbury. Une histoire qui rejoint le rébus en gommettes dans le bocal. Une histoire de types pendus par les yeux à une éolienne en pleine forêt de Thorellie (lien avec les types mentionnés en tiroir 2 à propos de cette histoire du Cluche : nature véritable de ce que l’écrivain avait abordé comme une péripétie par lui vécue, indéniablement rationnelle, aux ramifications à base de ressentiment et de jalousie). Le Conquistador fait sans doute le lien entre son armure et ce qui compose l’éolienne : le fût en époxy, les pales tournoyantes… Même les animaux magiques tissent une tapisserie cohérente en ôtant au réel ses fils imaginaires.
Une gamine imaginaire se fait donc l’avocate du réel via les éléments qui constituent physiquement des animaux de conte, silex, ronces, etc.
Cette première partie devra avoir fait faire à la figure du Conquistador un tour de manège qui aura laissé le lecteur un peu étourdi. Télescopage. L’essentiel des scènes se passe chez l’écrivain, ou dans son environnement réel familier. Son hameau, la campagne alentour, Villeneuve-sur-Yonne, le Maquis de Vareilles. Mais aussi de l’autre côté de la lisière de Thorellie. La forêt magique est là, toute proche, prête à gauchir les choses de ses débordements et de ses aspirations.
La narration se doit d’être claire, franche et directe.Une sorte de stark realism assigné à un récit singulier. Je ne joue pas avec le lecteur. Pas de satisfaction ostentatoire à l’idée de l’estourbir, à celle de le perdre dans des méandres en jouant au plus malin. Il peine à s’y retrouver, il rechigne à lâcher prise ? Je dois l’aider, le tenir par la main, pas le culbuter. La conclusion de l’histoire de l’éolienne et le rapprochement que fait le Conquistador entre elle et lui doit être traitée aussi lumineusement que la chute d’un polar : bon sang, mais c’est bien sûr !. Bref, il va y avoir un sacré boulot de finitions. Trois semaines de tournage, douze mois de montage.