Shibumi (Trevanian) : j’attaque un pavé de 443 pages en corps 8, d’un auteur dont j’ai lu et apprécié La sanction, dans un genre littéraire dont je je suis pas client, le thriller d’espionnage, qui a été écrit et démarre dans les années 70, avec Septembre Noir, Munich, la CIA et tout le toutim. Qu’est-ce qui va faire que je vais le lire en entier ou pas ? Déjà, p. 15, il y a un magnétophone portatif avec un microphone miniature attaché à la monture des lunettes. Ce qui me renvoie à l’attirail épouvantablement vieillot des films d’espionnage d’époque. Ensuite, la transcription d’une fusillade dans un aéroport, filmée au ralenti, où les personnages évoluent comme dans de la gélatine. OK. Et puis, p. 25, un truc m’arrête : la cabine descendit rapidement du hall principal au second sous-sol indiqué comme étant le seizième étage. […] dans les tréfonds du Centre. OK, mais, plus loin : et s’assit le dos tourné à la baie vitrée derrière laquelle on apercevait l’obélisque du monument de Washington. Sous-sol ou bien seizième ? (Le truc sera souligné trois-cent pages plus loin.) Puis : aussi sommaires et primitives qu’un film de Clint Eastwood (qui a tiré un film très premier degré de La sanction). Puis le méga-ordinateur Fat Boy, version ultra-pesante et archaïque d’une I.A. qui nécessite un virtuose des touches pour formuler les demandes d’infos de manière à éviter des réponses inutilement détaillées : parfois, je me dis que nous en savons trop sur les gens. (p. 35). La préhistoire. Après l’avoir été au ralenti, le film est repassé à l’envers : amusant effets cinématographiques du sang qui rentre dans les corps. Miss Stern souffrait manifestement de l’illusion démocratique que tous les gens ont été créés intéressants. (p. 37). C’est un truisme de la politique américaine qu’un homme à même de remporter une élection n’en a jamais l’étoffe. (p. 41). Plus loin, l’évocation de l’enfance de Hel à Shanghai en 1937 rappelle vraiment celle de Ballard évoquée dans L’Empire du Soleil. (Même si Trevanian a écrit Shibumi avant, Ballard a vécu le truc.) Bombardements, fuite, avancée des Japonais, ruines, etc., jusqu’aux quartiers résidentiels choisis par l’état-major pour s’y installer. Puis le récit s’attarde de manière détaillée sur le personnage Hel, avec une acuité et un esprits tels que le premier chapitre paraît après coup être une parodie de livre d’espionnage. Ne tombe pas dans le travers de l’artisan qui se vante de vingt ans d’expérience alors qu’il n’a en fait qu’une année – répétée vingt fois. (p. 114). Et Shibumi devient captivant. — Qui est Fat Boy ? — Un ordinateur. L’ultime ennemi. Il donne des renseignements à des imbéciles. (p. 343). Donc, le début / parodie ; l’enfance de Hel à Shanghai, puis son séjour au Japon et ses trois années de cachot : et toute la partie spéléo : grande et belle narration.
L’existence d’une chose plutôt qu’une autre ne tient à rien – et ce n’est pas moi qui vous le dit.
Et d’ailleurs, pensa-t-il, ils sont tous morts. Ils n’existent plus en tant que forme de vie. Mais nous continuons à prôner leurs vertus… après avoir exterminé leur race. (Macron à propos du personnel soign… ah non, Joe Adams à propos des écureuils dans La vérité avant-dernière de Dick.
Une esthéticienne, c’est quelqu’un qui convertit certaines parties oubliées de votre corps (ongles des pieds, sourcils) en problème à résoudre moyennant une brouette d’euros.
Je n’aime pas la littérature quand elle est thématique, ou de genre, ou témoignant du présent, du passé, du futur, du réel ; pas quand elle est appelée à la barre dans un procès, quand elle défend une idée ; pas quand elle dépoussière un thème classique ; pas quand elle rappelle la mémoire de x ni quand elle propose un univers secondaire, une échappée vers les étoiles ou au-delà des frontières ; pas quand elle aide à faire le deuil ou à surmonter les épreuves ; pas quand elle sert de manuel, qu’elle est thriller ou historique, poignante ou de cœur, métaphysique ou géniale. Je ne l’aime même pas quand elle est inclassable. Je l’aime quand elle ne raconte rien d’autre qu’elle-même.
Distance de sécurité : Les soldats languissent du corps-à-corps.
The invisible man (Leigh Whannell) : S’échoue sur les écueils du genre. Une technologie permet à un quidam de se rendre invisible. Qu’en fait-il ? Il tire les draps de celle qu’il veut tourmenter. Il tente de la rendre folle sans se manifester à autrui. Jusqu’au moment où lui (ou son frère, ou le scénario, mais le résultat est le même) entérine son existence aux yeux de ceux qui ont enfermé l’héroïne pour folie meurtrière. Parce que le genre requiert une bagarre contre un homme invisible. Bref. La vraisemblance des motivations est sacrifiée au diktat de l’exploitation. Pourtant, la maison du gars est de type Cronenberg, un paysage mental. Et Elizabeth Moss, non maquillée, fait le lien avec Laura Linney, Lisa Emery et Janet McTeer, ces femmes vieillissantes de la série Ozark.
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