Le monde englouti (J. G. Ballard). La lecture de Ballard me fait songer à ces images stéréoscopiques, sur deux plans, qui imitent un faux relief : les personnages agissent de manière peu compréhensible devant des décors dont ils sont un élément ; ils bougent, mais au final ont été immobiles, jouets d’un égarement intérieur qui se mêle aux paysages. Ils évoluent à la jonction du dedans et du dehors. Ils sont en prise avec le temps écoulé et avec le temps à venir. J’avais souvenir d’un roman prenant ; je le trouve maladroit, ça piétine, ça gesticule beaucoup, pour livrer des scènes assez grotesques. OK, il se démarque des apocalypses habituelles, OK, sans doute Ballard se cherche-t-il (c’est son deuxième roman). Mais c’est confus et je ne suis pas certain qu’il y ait eu le travail éditorial nécessaire. J’ai l’intuition que c’est un bouquin au mieux mal traduit (phrases au sens douteux, répétitions) et au pire un bouquin gesticulant pénible à lire. Ballard est à la peine, côté narration. Sera-t-il, comme Kipling, meilleur novelliste que romancier ? Il reste que les causes de l’affaire sont amusantes : Pourtant, je suis convaincu que, en retournant dans le temps géophysique, nous remontons le couloir amniotique et réintégrons, en passant par une ère spinale, le temps archéophysique. (p. 53). Pour utiliser le langage symbolique de la théorie de Bodkin, il était en train d’abandonner ses estimations conventionnelles du temps, relatives à ses propres besoins physiques et entrait dans le monde de l’infini, le temps neuronique. (p. 59). C’est toute la planète qui est en train de revenir rapidement à la période mésozoïque. — Précisément, […] nous y retournons également. Ceci est notre zone de transit. (p. 113). les immeubles vidés comme des poissons (p. 157).
La tentation d’abdiquer devant la limitation ressentie par son propre esprit des limites de son propre esprit.
Les faits surviennent toujours trop tard.
La question n’est pas tant : Qu’est-ce que la SF ? mais : Qu’est-ce que vous en feriez ?
Running wild (J. G. Ballard, 1988). Le plus terrifiant de l’affaire, ce n’est pas que les enfants ultra-choyés d’une résidence privée s’entendent tous pour assassiner leurs parents et disparaître, mais qu’avec l’évolution technologique des CCTV, aujourd’hui, ils ne le pourraient plus.
Chaque genre littéraire fonctionne comme la soupape d’autres genres fermés sur eux-mêmes.
La forêt de cristal (J. G. Ballard) La transformation ballardienne du monde est réussie, les causes de cette transformation subtiles et poétiques ; ses personnages sont là pour tarauder la fiction en s’agitant, cette agitation est rendue de manière toujours un peu idiote, pesante, sans tenants et aboutissants clairs, comme un tribut payé à un genre qui demande de l’action. Je n’ai jamais vraiment compris ce que faisaient ses personnages, à part montrer le délitement de l’activité, un sursaut réflexe sans objet. Ballard les travaille d’une drôle de manière. Ils n’accomplissent rien. Ils sont toujours englués dans les mêmes rapports avec les autres. Leur fonction narrative n’est pas de faire progresser l’intrigue – et d’ailleurs, il n’y a pas d’intrigue à proprement parler. Un satellite ayant traversé le ciel comme une balise de détresse. (p. 43).
Des quatre apocalypses ballardiennes, je sauverai Sécheresse pour le chassé-croisé des personnages, ses ellipses, sa description du littoral avec la tôle rouillée des véhicules. Le vent de nulle part est anecdotique. Le monde englouti est très brouillon. La forêt de cristal tient la route, mais certains passages comme le chapitre XI sont à peine lisibles, avec ces personnages qui se parlent en répétant sans cesse le prénom de leur seul interlocuteur. Pour l’heure, Ballard ne m’apparaît pas encore bon romancier ; par contre, il sait déjà être un dialoguiste médiocre. Les dits de ses personnages sont interrompues par des didascalies intempestives et systématiques. Romans, dit-on, où il se cherche dans le fond et sur la forme. Salutaires premiers écrits, car son exigence de ne pas faire dans un genre est là (échapper à la lecture pavlovienne qu’est la consommation de « genre », comme le dit Robert Louit).
Je pourrais finir en prison – si j’y mettais un peu du mien.
Something must be done about it Something must be done right now ’bout the silly people trying to run the world (John Cale, Model Beirut Recital)