Salammbô (Gustave Flaubert) Flaubert n’a pas de sympathie pour son héroïne. Pour le reste, c’est une montée des massacres – parce qu’on ne veut pas payer les hommes, parce qu’on les trompe, parce qu’on les extermine. Lui qui déclare vouloir écrire autre chose que les bassesses des bourgeois élargit sa détestation à l’humanité d’alors. C’était une eau bourbeuse, noire, glacée, profonde. Elle enfermait des monstres insensibles, parties incohérentes de formes à naître (p. 71). Soudain il s’arrêta, les yeux béants, comme s’il eût découvert entre les chiffres sa sentence de mort. (p. 85). les gouvernements étaient estimés comme des pressoirs d’après la quantité qu’ils faisaient rendre. (p. 108). et la lumière arrivait, effrayante et pacifique cependant, comme elle doit être par derrière le soleil, dans les mornes espaces des créations futures. (p. 127). Et puis deux péripéties un peu hors-propos : Il y avait en dehors des fortifications des gens d’une autre race et d’une origine inconnue, — tous chasseurs de porc-épic, mangeurs de mollusques et de serpents. Ils allaient dans les cavernes prendre des hyènes vivantes, qu’ils s’amusaient à faire courir le soir sur les sables de Mégara, entre les stèles des tombeaux. Leurs cabanes, de fange et de varech, s’accrochaient contre la falaise comme des nids d’hirondelles. Ils vivaient là, sans gouvernement et sans dieux, pêle-mêle, complètement nus, à la fois débiles et farouches, et depuis des siècles exécrés par le peuple, à cause de leurs nourritures immondes. Les sentinelles s’aperçurent un jour qu’ils étaient tous partis. (p. 77). Et : Un chien courait sur le mur. L’esclave lui jeta des cailloux ; et ils entrèrent dans une haute salle voûtée. Au milieu, une femme accroupie se chauffait à un feu de broussailles dont la fumée s’envolait par les trous du plafond. Ses cheveux blancs, qui lui tombaient jusqu’aux genoux, la cachaient à demi ; et sans vouloir répondre, d’un air idiot, elle marmottait des paroles de vengeance contre les Barbares, contre les Carthaginois. Le coureur furetait de droite et de gauche. Puis il revint près d’elle, en réclamant à manger. La vieille branlait la tête, et, les yeux fixés sur les charbons, murmurait : — « J’étais la main. Les dix doigts sont coupés. La bouche ne mange plus. » L’esclave lui montra une poignée de pièces d’or. Elle se rua dessus, mais bientôt elle reprit son immobilité. Enfin il lui posa sous la gorge un poignard qu’il avait dans sa ceinture. Alors, en tremblant, elle alla soulever une large pierre et rapporta une amphore de vin avec des poissons d’Hyppo-Zaryte confits dans du miel. Et Salammbô se détourna de cette nourriture immonde