Femmes d’argile et d’osier

Roman paru aux Moutons électriques en 2018. Disponible ici

Été 2016. À la recherche de drouilles à lire qui me sortent de ma zone d’intérêt, je tombe, dans un vide-maison, sur Machu Picchu de Simone Waisbard, dans la coll. Les énigmes de l’univers chez Robert Laffont. Je songe : tiens, ce pourrait être le point de départ d’un roman d’aventures…
Je lis d’autres livres plus fiables sur le sujet. J’amasse une documentation conséquente et puis je laisse mon esprit s’emparer de l’affaire.
Et la tordre.
(Ou : comment déconcerter le lecteur.)
L’idée qui germa de ce semis fut d’amener un fait historique avéré vers le conte. L’objet de cet amusement ― la découverte du Machu Picchu par Hiram Bingham en 1911 ― me permettait de garder en arrière-plan l’ombre du réalisme magique sud-américain, de développer un récit en des termes proches des basculements chers à Cortázar, mais sans que son objet soit le changement de camp. C’est un voyage à travers une tapisserie, de son endroit à son envers. Il n’y a pas de révélation de la part des personnages, pas de brutale épiphanie. Tout au plus une réponse à l’existence de certaines chenilles (uru) dans une certaine vallée (bamba).
Ni reconstitution historique ni récit d’aventures… Moi qui *cherchais* à contenter le lectorat de fantasy, me voilà bien.
Ce lecteur (trahi) est amené à s’installer dans le confort d’une rigueur historique soutenue, non pas trompeuse, ni secondaire ―, mais aussi exacte que brève. Les notes de bas de page, elles, continuent un temps, de manière imperturbable alors que la bifurcation vers le merveilleux est avérée.
Toute la première partie est un chassé-croisé, un frôlement entre les personnages réels qui se mêlent imperturbablement aux fictifs. Il y a l’explorateur, ses compagnons, les autochtones. La durée et l’itinéraire de l’expédition sont fidèles à la réalité et le nombre de mules exact. Dès le premier chapitre, il y a mention d’une cité d’un seul bloc d’andésite, désertée par ses habitants de deux tailles distinctes, qui n’est pas le Machu Picchu ― puis il y a une égarée d’argile et d’osier, des poupées de conte, une roche qui parle, des conquistadores quadricentenaires. Il y a la mutation progressive d’un unijambiste en créature d’osier et bien d’autres surprises, dont un scaphandre de caoutchouc, modèle Klingert bricolé par je ne sais qui dans l’Altiplano, qui se transforme en personnage vivant et agissant (et piloté par une poupée de maïs)…
À son propos, ceci : un jour, dans les mémoires de Bingham, je crois lire qu’un scaphandrier asiatique a aidé à tendre les câbles pour jeter un pont par-dessus l’Apurimac. Je note scaphandrier asiatique. Le lendemain, je relis le passage (p. 112) : aucune trace d’un scaphandrier. Tout au plus est-il fait mention d’un vieux colporteur chinois. Je lisais avec l’œil avide du romancier ; j’aurais fait un très médiocre universitaire. Mais chic ! Escafandra deviendra l’un des pivots du roman.
Les contes (On raconte ceci) qui s’entremêlent à la narration ont autant de réalité que l’histoire. Les deux formes de récit ne luttent pas. C’est une réalité double qui jamais n’est séparée. Mon brave Hiram Bingham renonce à l’Histoire pour le Conte et traverse la tapisserie de l’une à l’autre.
Dans une nouvelle, Sept pour un million, je montrais la transformation du monde en une tapisserie ; là, je passe de l’endroit à l’envers d’un autre ouvrage.
De même, il n’y a pas de surprise dans la structure (mais il y en a dans les péripéties), pas de twist intrinsèque, mais un glissement progressif, têtu et de plus en plus saillant. Le lecteur sait. Néanmoins, il tombe de sa chaise lorsqu’un personnage sur le point d’être décapité s’ôte la tête pour prévenir le coup de hallebarde d’un… conquistador dont la chair est cire de bougie.
Pas de twist, une fin brutale, mais anticipée dès le chapitre deux.
Bref, j’ai eu un plaisir extrême à tenir l’arc narratif fixé, de l’histoire au conte. Au lecteur maintenant de se laisser prendre.
De se laisser désarçonner.
Ou de brailler sa déconvenue sur son blog.
Outre les mémoires de Bingham, de l’explorateur Charles Wiener et de la nonne-soldat Catalina de Erauso, mes sources ont été : The cradle of gold de Christopher Heaney ; La troisième balle de Leo Perutz ; The explorer de Rudyard Kipling ; Le zoo du docteur Ketzal de Raymond Reding (BD de 1973) ; Aguirre film de Werner Herzog.
Aucune mule n’a été maltraitée durant l’écriture de cette fantaisie.

Robert Darvel
Femmes d’argile et d’osier
aux Moutons électriques
Femmes d’argile et d’osier

L’homme qui traversa la Terre

Roman paru aux Moutons électriques en 2016. Disponible ici

Bon.
Deux indications préliminaires, avant de les oublier :
un : il m’a fallu 10 ans pour lire « Les Terres creuses » ;
deux : il m’a fallu dix minutes pour me décider à écrire un livre à partir de cette lecture ;
trois : avant celui-là, je n’avais écrit que deux romans : « NECROPORNO » et « Le retour du prisonnier de la planète Mars ».
Donc, les 2211 notules du fascicule de Costes & Altairac parlant de conjectures souterraines s’agrègent, se dissolvent ou passent dans mon tamis cérébral. J’en retire principalement la No. 1043, qui présente « The microscopics giants » de Paul Ernst, in Thrilling wonder stories, oct. 1936 : « Cette nouvelle traite d’un motif fort rare à notre connaissance, celui d’une humanité qui s’est adaptée à vivre… à l’intérieur de la roche ! » m’assurent les auteurs.
Là-dessus, je me souviens d’une nouvelle écrite et laissée en sommeil, où une jeune femme visite un zoo, est bousculée par un rhinocéros et commence à s’enfoncer dans le sol (sans doute à cause d’un « transfert de masse » inopiné). Je reprends le texte et décide que le rhinocéros s’appellera Dürer.
Là-dessus, je visionne un feuilleton de l’ORTF tiré des « Habits noirs » de Paul Féval, et retiens cette idée que, s’ils veulent réussir un crime sans être inquiétés, les truands doivent fournir un coupable à la justice.
Là-dessus, je relis tout de même « Voyage au centre de la Terre » (dont j’utilise en exergue du chap. X ce « j’allais tomber » prononcé par Axel Lindenbrook au chap. XVII).
Voilà. J’ai l’intrigue. Pas vous ?
L’éditeur m’apprend que le décorum devra paraître steampunk, pour proposer un élément de langage utile à la force de vente. J’ai donc la technologie : ficelles et acier, automobile Serpolet ou bien Draulette et Catois (pourrissant au fond d’un jardin, je me moque du steampunk requis), aérodyne solaire et aérostat propulsé au gaz. Et la technologie permettant cet « ébrouement moléculaire », ce rayon ZR ? « Nous ne pouvons hélas ! nous étendre avec précision sur ce sujet, car la science de Louis Zèdre-Rouge se dérobe au profane ; le lecteur pardonnera l’incrédulité qui en résultera, mais nous préférons ne pas lui servir un salmigondis de termes baroques dont la profusion eût pauvrement masqué notre ignorance. Et puis, le poète observant bondir un cerf pense-t-il myocytes et système somatique ? »
Pour la géographie, j’ai l’Islande et la roche, le Snæfelljökull et, voyons… Villelest, qui sonne parfaitement à l’oreille.
Les personnages se présentent d’eux-mêmes sans que j’aille les chercher loin.
Leur caractérisation s’opère toute seule ; dans un certain sens, le roman est pré-écrit : il s’agit d’un pastiche.
La demoiselle existe déjà : je l’ai rencontrée, puis je l’ai évoquée dans la nouvelle « Sept pour un million » qui raconte la transformation du monde en une tapisserie.
Pour quelle raison le fiancé se nomme-t-il Louis Zèdre-Rouge ? Mais parce que je suis en train de dévorer « Zigomar » !
Le héros-qui-revient s’appellera bien entendu Lazaret, et ceci pour flatter le lecteur malin. (Là-dessus, David Bowie meurt : d’où la coquille volontaire p. 95).
Par contre, je bricole une surprise avec l’identité de Mademoiselle Siméone Visbecq.
« Visbecq », un clin d’œil parmi d’autres… :
je salue Werner Herzog (et Kinski), là-bas, en Australie (Kinszog Wall) ;
avec la permission des intéressés, je baptise les ouvriers « altéracs » (ouvriers-racleurs altérés) ; et « Caustes » ceux-qui-vivent-dans-la-roche ;
je n’oublie pas Kipling et ses « histoires comme ça » ;
j’ai une « avenue de Kremer », un cabinet « Baruch & Jorgell ».
Le lecteur malin s’amusera à en chercher d’autres.
La description du centre de la Terre m’est venue… en mangeant un artichaut.
L’abrupte fin (où je m’éloigne du pastiche) surgit brutalement, car Christine Luce, vigilante correctrice, m’indique « L’élégie à Marina Tsvetaieva » de Rainer Maria Rilke, qui contient ces deux mots : « Nous profondeurs ».
Voilà.
Écrit en 10 mois.
Je souffle un peu, je file en vacances et puis… Et puis je tombe, dans un vide-maison, sur « Machu Picchu » de Simone Waisbard, dans la coll. « Les énigmes de l’univers » chez Robert Laffont.
Je songe : « tiens, ce pourrait être le point de départ d’un roman d’aventures… ».

Mais ceci est une autre histoire.

L’homme qui traversa la Terre