lundi 16 décembre
Raymond m’apporte deux têtes de sanglier. Je vais donc passer deux jours à les ébouillanter, à en ôter les poils et la peau, à les faire cuire dans des aromates, à en ôter la chair, à la refaire cuire dans un bouillon et à faire des bocaux pour stérilisation.
mardi 17 décembre
La journée s’est exactement déroulée comme anticipé hier.
mercredi 18 décembre
Je relis SIVA : ce bouquin est absolument imbitable pour qui l’attaquerait sans rien connaître de Dick. Pas d’intrigue, un dispositif avec un personnage narrateur dédoublé ; un catalogue de trucs grave barrés. L’Exégèse. Ce fatras. Mon dieu.
Ceci dit, ce qui prime là-dedans , c’est l’indétermination et l’application qu’en fait Dick est fascinante, cette élaboration-destruction perpétuelle avec, en bonus, toujours, l’humour.
Alors que dans Ad Astra (James Gray, Brad Pitt), pas d’humour, nulle part, l’indétermination est sérieuse, pesante et stérile : quel est le propos du film ? Quel est la raison des passages d’action, la poursuite sur la Lune, les singes norvégiens : OK, il y a des détrousseurs de grand chemin sur la Lune, OK, il y a des expériences de laboratoire dans l’espace, mais qu’est-ce que ça a à voir avec la cible du récit ? Et donc le père-prétexte-à-quoi ? C’est un chouïa décousu, sans nécessité et surtout sans brio ni lâcher prise. On dirait une version sérieuse et non assumée de The Mandalorian, pour ce qui est des péripéties. Et la tension basse de Pitt ? L’affaire m’a laissé perplexe. Un truc : la mollesse me semble être le thème de prédilection de Gray (cf. Lost city of Z). Reste un catalogue convenu des habituelles vues de la Lune (cf. Moon et For All Mankind) et l’espace. Mais là aussi, Interstellar réussissait à être plus dépaysant. Bref, à ces deux films, j’ai tout de même préféré Prospect.
(De plus, dans Interstellar comme dans Ad Astra, le père est encombrant ; dans Prospect, il se fait dessouder rapido.
Malgré mes efforts et mes affinités, je ne suis pas écrivain de genre (SF, fantastique, etc.) ; je vise à une littérature incertaine. Et d’autant incertain est le lectorat. Et quid de l’éditeur ?
La naissance est un accident et la vie, ensuite, un délit de fuite.
Il est utile de dénier un sens aux choses.
jeudi 19 décembre
[Thème de cette anthologie] : demander à des auteurs SF de se mettre en scène comme personnage descendant de sa fusée pour tirer des observations de notre réalité quotidienne (la vraie, celle que vous et moi éprouvons pour de bon en ce moment) sans détour ni spéculation. Juste consigner le détail de ce qu’ils ont sous le nez.
À travailler sans méthode (ou disons sans obéir à ma propre méthode), je perds certainement un temps fou, réécrire, revenir, ajouter, modifier, etc. – mais j’éprouve la validité même de l’écriture face à la vie de tous les jours. Ce n’est pas un refuge. Je ne m’immerge pas dedans, je la confronte aux tracas d’une journée, aux pistes données par mes lectures. Je mesure l’entêtement de la fiction et ses manières d’exister face au réel.
Tous ces superhéros sont plus fortiches que son père. Les comics sont donc un dénigrement en règle du père.
vendredi 20 décembre
For All Mankind : ma série de l’année.
Les furtifs chp. 1 : ça commence par un type dans un cube blanc, qui doit capturer quelque chose d’invisible = auteur, feuille, récit (est-ce la représentation de l’inspiration à saisir, propre, intime, personnelle et une mise en garde du possible mimétisme de cette inspiration pour qui désirerait être original ?). Et je commence à vouloir balayer du bout des doigts les signes typographiques surnuméraires. Et ces furtifs ont-ils à voir avec Le glamour de Priest ? La présence du furtif dans le cube d’examen est un sacré coup de bol = je tique, suspension de la suspension d’incrédulité, en attendant l’explication à venir (manifestation de la fille de Lorca indiquée comme objet de la quête en 4e de couv ?) Un furtif est ce qu’on prend le temps de voir. Bim. OK.
Les furtifs chp. 2 : OK, LVMH a racheté Paris, Orange, Orange. Présent pseudo-futurisé à peu de frais. Terrain connu. Narration familière truffée d’anglicismes (et d’autres -ismes, me semble-t-il). Et les pinailleries typographiques soulagent l’auteur d’indiquer qui narre à tel ou tel moment. (Que va-t-il faire du temps ainsi gagné ?) J’opère une traduction simultanée des termes néotrucmuches, ce qui réduit à peu de chose le gloubiboulga de l’auteur – mais produit une sorte de déphasage pas déplaisant, quoique futile. Il joue la carte de la lisibilité sous le zinzin. On évolue dans le familier, dans le quotidien contemporain, pas dans le spéculatif. Une extrapolation de quelques années. Entre deux formules, cherchez l’optimale – plus forte quantité d’infos en un minimum de caractères (p. 49) : si j’aboute cette déclaration aux pinailleries typographiques utilisées (par économie, ai-je vanné) pour chaque personnage, l’auteur se veut-il hacker de son propre texte ? Lorca : pas d’empreinte thermique / clandestinité / jonction présupposée furtif/résistant…
samedi 21 décembre
Encore une belle soirée au Maquis hier : concert de Valentin, puis causerie avec lui, Aurélien et les tenanciers. Le métier de chanteur est incertain.
Les furtifs chp. 3 : en 2040, on citera toujours Deleuze (là, l’auteur court-circuite la crédibilité du personnage fictif). La description du café-espace de travail Ikea est trop ressemblante à notre présent, l’effet pseudo-futurisé en devient embarrassant plus que conjectural. C’est un futur où le présent colle trop, comme un chewing-gum sous une semelle de vent. Certaines choses sont finement dépecées (les degrés de liberté) ; puis l’utilisation du mot friendly, et celui de storytelling arrive, pesants car trop connotés présent. Bref, je suis à moitié convaincu. L’affaire est fluide, mais ressemble trop à un album de coloriage du présent aux couleurs d’un proche futur, effectué avec application, sans déborder. La typographie/personnage fonctionne (mais ces passages avec des points sur pas mal de lettres me chiffonnent – qu’est-ce que ça signifie ? C’est les pensées au stade brouillon ? Certaines typographies soulignent-elle le mode conditionnel de la pensée du personnage ?). Encore un anglicisme : fake memory syndrom. Leur emploi est-il du domaine de la raillerie des habitudes actuelles ? Pas sûr. Les pédophiles ne volent pas dans le ciel en ballon = hop, une idée d’histoire, merci. (Dommage, ça aurait fait décoller le récit, cette déconnade hors de propos.)
Les furtifs chp 4 : suite de la promenade un peu plan-plan dans le néoprésent. L’auteur cède souvent à l’envie de jouer avec le langage (cf. Agüero) ; ceci + les anglicismes + les néologismes + la typo/personnages distrait et accapare l’attention plus que ça n’offre une immersion meilleure. Quant aux jeunes, ils disaient juste qu’il avait tué le game (p. 93) : les jeunes de 2040 parlent comme les jeunes d’aujourd’hui… Emploi du présent. Phrases courtes. Répétitions. Langage parlé. Argl, j’y suis : s’il y a un furtif clandestin là-dedans, j’ai bien peur que ce soit David Foenkinos. Est-ce une parodie cérébralisée ? Lorca le chasseur de furtifs va-t-il courir le danger à un moment d’avoir sa fille disparue au bout de son arme ? Splitscreen typo, OK pour les personnages. Mais le reste, la profusion d’accents, les l barrés comme des t, etc. : Damasio s’est-il laissé enivrer par les effluves montant de son clavier ? Jolie portrait de Nèr qui veut tout architecturer. On pourrait dire que c’est réussi, et on pourrait regretter que ce soit chichiteux.
Un après-midi pluvieux – plus vieux d’un jour.
dimanche 22 décembre
Vu The man who cried (Sally Potter) : Johnny Depp en gipsy débraillé jusqu’au nombril et à cheval, Cate Blanchett en grande bringue russe arriviste, John Turturro en chanteur lyrique (ah, ah)… et Christina Ricci en sous-vêtements.
Les furtifs chp 5 : le néoprésent est essentiellement verbal (jeux extrapolés du langage d’aujourd’hui), de fait il peine à me convaincre d’une existence véritable. Il y a un mur de mots entre le futur et moi. C’est un décor monté pour les besoins d’une démonstration de la nocivité néolibérale contemporaine. Les personnages surjouent la familiarité avec leurs outils technoïdes. Tuer les furtifs qui déjouent, eux, l’identification n’est pas éthologique (p. 117). En fait, il n’y a pas de proposition d’un univers créé de toutes pièces, ainsi que la SF fonctionne (mais ce n’est pas le propos, hein). Grand souci de lisibilité conjecturale versus préciosité typographique, histoire de ne pas trahir la volonté d’écrire un roman imaginaire-friendly.