Mise en place (possible)
(Tout plan est un leurre, un chiffon agité devant le front plat de l’imagination.)
Le récit est ancré dans l’Yonne, aujourd’hui, chez l’écrivain – dont une des pièces est isolée avec des planches de bois coupées dans la forêt de Thorellie (la forêt d’Othe). Ces planches sont la lisière de tous les possibles narratifs. La fillette Valentine lui montre que l’on peut la traverser et accéder à… aux merveilles que l’on veut. Sans autre contrainte que celle des contes. L’écrivain est réticent, épouvanté ; il proteste devant une telle facilité, une telle désinvolture narrative. Pour le charmer Valentine s’empare d’une anecdote et la déplie ; elle en restitue toute la magie. Elle persuade l’écrivain qu’un récit peut comporter des routines (au sens que lui donnait William Burroughs) sans pour autant délivrer un ensemble morcelé et décousu – c’est là que la progression temporelle de l’histoire a son importance comme arc dramatique, comme ciment du contenu des douze chapitres-tiroirs.
Il faut noter que le Conquistador a germé dans le jardin, du côté bourguignon et réel de la lisière. Au cours du récit, ce dernier aura plus l’occasion d’être épouvanté par le présent-réel que par les horribles scènes aztèques, péruviennes ou philippines où il sera culbuté (au gré des caprices de la fillette et de sa volonté propre).
Écriture
Je ou bien il ? La mise en scène d’un écrivain pousse à choisir je. Ce sera mon premier récit long à la première personne, sachant que l’exercice se conduit avec plus de facilité sur le temps bref d’une nouvelle. Pour assouplir la contrainte, là, il y aura deux je : l’écrivain et la fillette.
Mettre l’imagination au pied de nombreux murs, afin de susciter des manières inventives de conduire le récit. Ne jamais renoncer à une impulsion étrange au prétexte de se perdre dans des méandres insolubles. Bien au contraire : ce sera son sel, que de trouver la manière de dénouer les fils. Placer ma capacité narrative dans des situations invraisemblables et jouer à les résoudre avec une désinvolture fraîche et inventive. Procéder exactement en contraire d’intrigues montées en amont et si tarabiscotées pour tromper le lecteur que le déroulé tend à perdre toute saveur autre que fonctionnelle. Là, on le met face à l’inextricable – qu’on résout avec légèreté et insouciance. Retrouver le plaisir jubilatoire, fascinant et quelque peu hypnotique des contes. Par contre, éviter la vacuité du feuilleton et de ses péripéties sur-étirées. Pirouette & concision, pas beurre de cacahuète roboratif.
Prologue
À la manière du texte introduisant chaque conte chez Giambattista Basile : une courte notule qui annonce et résume l’histoire.
Tiroir 1/12 : l’armure
(Relire Basile afin de trouver la manière abrupte de présenter l’affaire – sans s’attarder sur son côté fantasmagorique. Quasi Il était une fois. Il y a cette proposition dans l’avant-propos du Roman d’Amadis de Gaule (présenté comme la première fable chevaleresque) : […] conscient de ne pouvoir mieux dire […]. Pourquoi ne pas entamer par : Conscient de ne pouvoir mieux dire, je débuterai mon récit par : Il était une fois… ?)
Je vis dans l’Yonne / dans un hameau / L’autre jour, j’ai buté sur un truc qui n’était pas dans le jardin la veille / germination d’un fatras d’acier dans mon jardin / Et cet acier se révéla être une armure. Je lai regardé pousser / j’ai attendu qu’elle soit toute hors du sol / Observation minutieuse / relevé de ses dessins / photos, recherche par image / sans résultat probant, voire même le contraire. Au début, elle paraît d’évidence venir du XVIe siècle. Conçue en Espagne sous Charles Quint. Les dessins sont étranges. Changeants. Imprécis : ils racontent un passé fluctuant. Il y a les traces laissées par les éléments, l’eau d’un lac, le sable, le vent, les pierres (d’un lit de rivière asséché), le froid, le feu, le sang coagulé. Le grouillement d’une jungle. Les motifs forment un labyrinthe de rouille.
(Et d’un coup Valentine se mêle de l’affaire. L’écrivain vit donc avec une fillette, apprend le lecteur. Il vit dans un hameau, aujourd’hui. Avec une gamine. Et un Conquistador est en train de germer dans son jardin. Valentine déboule avec naturel dans le récit. Son existence ne doit pas pouvoir être remise en cause. Via le détail de sa tenue, sa familiarité avec l’écrivain et le naturel avec lequel les deux se comportent l’un avec l’autre. Elle a ses habitudes dans la maison. Peut-être évoquer à travers quelques objets – le bocal avec les gommettes et leur rébus, qui sera élucidé au chapitre suivant – une connivence effective.)
Là-dessus elle s’occupe à son tour de l’armure. Elle observe et déchiffre les motifs, à la manière d’une écriture / raconte une suite d’élucubrations à l’écrivain, que la tirade laisse pantois. L’habileté de parole de la gamine le submerge. Armure(s) / figures historiques fluctuantes de la Conquista en route vers Tenochtitlan / s’y mêlent Doña Marina, puis Pancho Villa et Ambrose Bierce… Par la suite, affirme Valentine, l’armure mue. Devient tortue changeante. Jusqu’à évoquer la combinaison d’un astronaute, celle d’un scaphandrier – ce genre de figures de l’enfermement d’un corps se portant avec méfiance vers l’inconnu – pour convertir l’inconnu à son propre monde ; pour se préserver d’une culture autre. Pour survivre.
Au terme de son babillage, Valentine aura prouvé la nature symbolique de l’armure.
L’écrivain est tourneboulé. Il se couche, l’esprit habité. S’octroie un bonnet de nuit. Pisse dehors. Tente de lire Tournier, Lansdale et Franck Russell. Les personnages des trois livres s’agitent sous son crâne.
Arrivé à ce point, le lecteur est en attente de précisions, à défaut d’explications. Le chapitre suivant devra répondre intuitivement à l’envie qu’il aura d’être rassuré. À la promesse d’un récit maîtrisé et non pas d’un fatras. C’est pourquoi on embrayera sur les circonstances de la rencontre de l’écrivain avec Valentine – et sur la nature de la gamine.
Ce premier tiroir doit d’emblée bousculer l’attente par le lecteur d’un récit linéaire ; la progression est rapide : l’armure émerge ; à peine quelques paragraphes plus loin, hop, Valentine a embarqué tout le monde.