Ou, entre autres : comment Valentine Craquebillet est apparue à l’écrivain. Sans doute perchée sur les poutrelles du marché de Villeneuve. Il l’aperçoit alors qu’il fait ses emplettes. Elle lui fait signe. Juste à lui – les autres ne s’en soucient pas. Il la quitte du regard, elle s’est envolée. Il la distingue à l’angle de la place. Il la suit jusqu’au quai. Elle lui tient un discours drôle et concis, et s’éclipse. Elle réapparaît quelque jours plus tard lorsqu’il fait livrer du bois. Il l’invite à rester chez lui. Sont balayés les sous-entendus grivois entre un adulte et une gamine. Elle lui explique sa nature magique. Elle est invisible à autrui – pour preuve, la scène où, au Maquis, elle tarabustera à son insu une pianiste qui joue Des pas dans la neige et qui voit les touches s’enfoncer juste avant qu’elle n’y pose les doigts (et comme la pianiste a changé de sexe, elle pense qu’il s’agit du fantôme de sa nature précédente qui se rappelle à elle).
Elle lui parle avec pertinence des trois livres qu’il va lire bientôt (Lansdale, Tournier et Franck Russell) et résout le rébus-gommettes qui attend dans le bocal mentionné en Tiroir 1. Il lui parle alors du Cluche norvégien – là, je m’amuse avec le principe du récit-gigogne comme Le Manuscrit trouvé à Saragosse ou Melmoth. Sans perdre le lecteur, qui doit déjà faire avec un paquet de fils narratifs incertains dès le début de l’affaire.
Jouer avec la chronologie. Ce tiroir se clôt sur l’apparition de l’armure dans le jardin de l’écrivain. À ce moment du récit, le lecteur devrait être prévenu qu’il lit quelque chose de singulier et son intérêt sera éveillé quant aux merveilles annoncées – puisqu’il est assuré de ne pas avoir entamé un récit conventionnel.
Reconsidérer chaque tiroir afin d’en tirer le meilleur parti : l’écriture non linéaire (c-à-d délivrée de la nécessité de suivre les étapes d’une progression temporelle) permet de produire quelque chose de plus riche du point de vue des pas de côté. Ce ne sont plus des digressions échappées d’un cadre strict, mais la sève même du récit. Le lecteur ne peut pas sauter le passage, puisque l’aparté constitue l’histoire au lieu de la ralentir (la digression est un pari fait sur la patience du lecteur et qui pâtit souvent de son impatience).
Si le roman doit atteindre les 600 000 signes, chaque chapitre (chaque thème) se développera sur 50 000 signes. Ce qui fait de longs chapitres, courts au regard du thème déplié. Dans celui-ci concernant Valentine, survoler la temporalité du personnage. Parler par anticipation de sa faculté de se vieillir et annoncer sa fin inéluctable, fin qui adviendra en Tiroir 11.
Question : pour ce tiroir, écrire je (écrivain) ou bien double je (Gamine / écrivain) ? Ou narrateur ?
Ne rien s’interdire au prétexte que ça ne cadrerait pas avec le récit. Bien au contraire, il doit être tissé de débordements impromptus présentés de manière absolument insouciante et naturelle. Ce qui compte de la proposition, c’est l’élégance dans la forme – son toupet (puisque c’est Valentine !).
Valentine s’empare d’une rumeur concernant une embarcation pleine d’Amazones qui remonterait l’Yonne. Elles ont entendu parler de la virilité des Yonnais, affirme-t-elle. Elle pointe aussi le fait que les Conquistadores entendaient des autochtones ce qu’ils voulaient entendre – d’où la recherche de l’El Dorado ou de villages d’Amazones perpétuellement à sept (ou dix) jours de marche.
Plus je lis, plus je jubile. Quel beau livre !