Figure du Conquistador #3

Tiroir 2/12 : Valentine

Ou, entre autres : comment Valentine Craquebillet est apparue à l’écrivain. Sans doute perchée sur les poutrelles du marché de Villeneuve. Il l’aperçoit alors qu’il fait ses emplettes. Elle lui fait signe. Juste à lui – les autres ne s’en soucient pas. Il la quitte du regard, elle s’est envolée. Il la distingue à l’angle de la place. Il la suit jusqu’au quai. Elle lui tient un discours drôle et concis, et s’éclipse. Elle réapparaît quelque jours plus tard lorsqu’il fait livrer du bois. Il l’invite à rester chez lui. Sont balayés les sous-entendus grivois entre un adulte et une gamine. Elle lui explique sa nature magique. Elle est invisible à autrui – pour preuve, la scène où, au Maquis, elle tarabustera à son insu une pianiste qui joue Des pas dans la neige et qui voit les touches s’enfoncer juste avant qu’elle n’y pose les doigts (et comme la pianiste a changé de sexe, elle pense qu’il s’agit du fantôme de sa nature précédente qui se rappelle à elle).

Elle lui parle avec pertinence des trois livres qu’il va lire bientôt (Lansdale, Tournier et Franck Russell) et résout le rébus-gommettes qui attend dans le bocal mentionné en Tiroir 1. Il lui parle alors du Cluche norvégien – là, je m’amuse avec le principe du récit-gigogne comme Le Manuscrit trouvé à Saragosse ou Melmoth. Sans perdre le lecteur, qui doit déjà faire avec un paquet de fils narratifs incertains dès le début de l’affaire.

Jouer avec la chronologie. Ce tiroir se clôt sur l’apparition de l’armure dans le jardin de l’écrivain. À ce moment du récit, le lecteur devrait être prévenu qu’il lit quelque chose de singulier et son intérêt sera éveillé quant aux merveilles annoncées – puisqu’il est assuré de ne pas avoir entamé un récit conventionnel.

Reconsidérer chaque tiroir afin d’en tirer le meilleur parti : l’écriture non linéaire (c-à-d délivrée de la nécessité de suivre les étapes d’une progression temporelle) permet de produire quelque chose de plus riche du point de vue des pas de côté. Ce ne sont plus des digressions échappées d’un cadre strict, mais la sève même du récit. Le lecteur ne peut pas sauter le passage, puisque l’aparté constitue l’histoire au lieu de la ralentir (la digression est un pari fait sur la patience du lecteur et qui pâtit souvent de son impatience).

Si le roman doit atteindre les 600 000 signes, chaque chapitre (chaque thème) se développera sur 50 000 signes. Ce qui fait de longs chapitres, courts au regard du thème déplié. Dans celui-ci concernant Valentine, survoler la temporalité du personnage. Parler par anticipation de sa faculté de se vieillir et annoncer sa fin inéluctable, fin qui adviendra en Tiroir 11.

Question : pour ce tiroir, écrire je (écrivain) ou bien double je (Gamine / écrivain) ? Ou narrateur ?

Ne rien s’interdire au prétexte que ça ne cadrerait pas avec le récit. Bien au contraire, il doit être tissé de débordements impromptus présentés de manière absolument insouciante et naturelle. Ce qui compte de la proposition, c’est l’élégance dans la forme – son toupet (puisque c’est Valentine !).

Valentine s’empare d’une rumeur concernant une embarcation pleine d’Amazones qui remonterait l’Yonne. Elles ont entendu parler de la virilité des Yonnais, affirme-t-elle. Elle pointe aussi le fait que les Conquistadores entendaient des autochtones ce qu’ils voulaient entendre – d’où la recherche de l’El Dorado ou de villages d’Amazones perpétuellement à sept (ou dix) jours de marche.

Figure du Conquistador #3

Figure du Conquistador #2

Mise en place (possible)

(Tout plan est un leurre, un chiffon agité devant le front plat de l’imagination.)

Le récit est ancré dans l’Yonne, aujourd’hui, chez l’écrivain – dont une des pièces est isolée avec des planches de bois coupées dans la forêt de Thorellie (la forêt d’Othe). Ces planches sont la lisière de tous les possibles narratifs. La fillette Valentine lui montre que l’on peut la traverser et accéder à… aux merveilles que l’on veut. Sans autre contrainte que celle des contes. L’écrivain est réticent, épouvanté ; il proteste devant une telle facilité, une telle désinvolture narrative. Pour le charmer Valentine s’empare d’une anecdote et la déplie ; elle en restitue toute la magie. Elle persuade l’écrivain qu’un récit peut comporter des routines (au sens que lui donnait William Burroughs) sans pour autant délivrer un ensemble morcelé et décousu – c’est là que la progression temporelle de l’histoire a son importance comme arc dramatique, comme ciment du contenu des douze chapitres-tiroirs.

Il faut noter que le Conquistador a germé dans le jardin, du côté bourguignon et réel de la lisière. Au cours du récit, ce dernier aura plus l’occasion d’être épouvanté par le présent-réel que par les horribles scènes aztèques, péruviennes ou philippines où il sera culbuté (au gré des caprices de la fillette et de sa volonté propre).

Écriture

Je ou bien il ? La mise en scène d’un écrivain pousse à choisir je. Ce sera mon premier récit long à la première personne, sachant que l’exercice se conduit avec plus de facilité sur le temps bref d’une nouvelle. Pour assouplir la contrainte, là, il y aura deux je : l’écrivain et la fillette.

Mettre l’imagination au pied de nombreux murs, afin de susciter des manières inventives de conduire le récit. Ne jamais renoncer à une impulsion étrange au prétexte de se perdre dans des méandres insolubles. Bien au contraire : ce sera son sel, que de trouver la manière de dénouer les fils. Placer ma capacité narrative dans des situations invraisemblables et jouer à les résoudre avec une désinvolture fraîche et inventive. Procéder exactement en contraire d’intrigues montées en amont et si tarabiscotées pour tromper le lecteur que le déroulé tend à perdre toute saveur autre que fonctionnelle. Là, on le met face à l’inextricable – qu’on résout avec légèreté et insouciance. Retrouver le plaisir jubilatoire, fascinant et quelque peu hypnotique des contes. Par contre, éviter la vacuité du feuilleton et de ses péripéties sur-étirées. Pirouette & concision, pas beurre de cacahuète roboratif.

Prologue

À la manière du texte introduisant chaque conte chez Giambattista Basile : une courte notule qui annonce et résume l’histoire.

Tiroir 1/12 : l’armure

(Relire Basile afin de trouver la manière abrupte de présenter l’affaire – sans s’attarder sur son côté fantasmagorique. Quasi Il était une fois. Il y a cette proposition dans l’avant-propos du Roman d’Amadis de Gaule (présenté comme la première fable chevaleresque) : […] conscient de ne pouvoir mieux dire […]. Pourquoi ne pas entamer par : Conscient de ne pouvoir mieux dire, je débuterai mon récit par : Il était une fois… ?)

Je vis dans l’Yonne / dans un hameau / L’autre jour, j’ai buté sur un truc qui n’était pas dans le jardin la veille / germination d’un fatras d’acier dans mon jardin / Et cet acier se révéla être une armure. Je lai regardé pousser / j’ai attendu qu’elle soit toute hors du sol / Observation minutieuse / relevé de ses dessins / photos, recherche par image / sans résultat probant, voire même le contraire. Au début, elle paraît d’évidence venir du XVIe siècle. Conçue en Espagne sous Charles Quint. Les dessins sont étranges. Changeants. Imprécis : ils racontent un passé fluctuant. Il y a les traces laissées par les éléments, l’eau d’un lac, le sable, le vent, les pierres (d’un lit de rivière asséché), le froid, le feu, le sang coagulé. Le grouillement d’une jungle. Les motifs forment un labyrinthe de rouille.

(Et d’un coup Valentine se mêle de l’affaire. L’écrivain vit donc avec une fillette, apprend le lecteur. Il vit dans un hameau, aujourd’hui. Avec une gamine. Et un Conquistador est en train de germer dans son jardin. Valentine déboule avec naturel dans le récit. Son existence ne doit pas pouvoir être remise en cause. Via le détail de sa tenue, sa familiarité avec l’écrivain et le naturel avec lequel les deux se comportent l’un avec l’autre. Elle a ses habitudes dans la maison. Peut-être évoquer à travers quelques objets – le bocal avec les gommettes et leur rébus, qui sera élucidé au chapitre suivant – une connivence effective.)

Là-dessus elle s’occupe à son tour de l’armure. Elle observe et déchiffre les motifs, à la manière d’une écriture / raconte une suite d’élucubrations à l’écrivain, que la tirade laisse pantois. L’habileté de parole de la gamine le submerge. Armure(s) / figures historiques fluctuantes de la Conquista en route vers Tenochtitlan / s’y mêlent Doña Marina, puis Pancho Villa et Ambrose Bierce… Par la suite, affirme Valentine, l’armure mue. Devient tortue changeante. Jusqu’à évoquer la combinaison d’un astronaute, celle d’un scaphandrier – ce genre de figures de l’enfermement d’un corps se portant avec méfiance vers l’inconnu – pour convertir l’inconnu à son propre monde ; pour se préserver d’une culture autre. Pour survivre.

Au terme de son babillage, Valentine aura prouvé la nature symbolique de l’armure.

L’écrivain est tourneboulé. Il se couche, l’esprit habité. S’octroie un bonnet de nuit. Pisse dehors. Tente de lire Tournier, Lansdale et Franck Russell. Les personnages des trois livres s’agitent sous son crâne.

Arrivé à ce point, le lecteur est en attente de précisions, à défaut d’explications. Le chapitre suivant devra répondre intuitivement à l’envie qu’il aura d’être rassuré. À la promesse d’un récit maîtrisé et non pas d’un fatras. C’est pourquoi on embrayera sur les circonstances de la rencontre de l’écrivain avec Valentine – et sur la nature de la gamine.

Ce premier tiroir doit d’emblée bousculer l’attente par le lecteur d’un récit linéaire ; la progression est rapide : l’armure émerge ; à peine quelques paragraphes plus loin, hop, Valentine a embarqué tout le monde.

Figure du Conquistador #2

Figure du Conquistador #1

Intention

Le point délicat est que ce ne sera pas une histoire de conquistadores. D’autres écrivains avant moi se sont illustrés dans la reconstitution, la fureur, le sang, la jungle, la rouille et l’acier. Le récit ne sera pas historique ; ce sera une réflexion vivante sur l’imaginaire. Sur l’objet d’un récit, sur sa figure. La Conquista, c’est la liberté de narration.

Pitch

Le Conquistador apparait dans le jardin de l’écrivain. Il germe du sol. L’écrivain et la fillette s’emploient dès lors à lui trouver un récit, à l’insérer dans le présent. Jusqu’à – peut-être et bien au contraire – se faire happer par lui (avec la complicité de la fillette).

Personnages

Trois personnages. Le couple écrivain / fillette imaginaire et le Conquistador. L’écrivain, c’est l’acte d’écrire ; la fillette, c’est la nécessité imaginative pour libérer le récit des entraves habituelles, c’est la force du conte, sa liberté (grâce à elle, le récit pourra se déployer dans un temps et un espace lointains et les nœuds narratifs pourront être résolus avec trois glands cachés sur une poutre comme chez Giambattista Basile) ; le Conquistador, c’est l’objet du récit, la cristallisation de l’acte d’écrire, sa pulsion objectivée.

Structure

Le tout sera décomposé en douze chapitres (autant de lettres que dans le mot c o n q u i s t a d o r). Douze thèmes.

Cette structure de douze tiroirs chacun agités d’une thématique en va-et-vient passé-présent-futur / réel-imaginaire nécessite un plan temporel précis. Lequel se décompose en 3 parties. Chaque partie comprenant quatre des douze thèmes.

La progression chronologique se fera de manière insidieuse à travers le fatras thématique.

Manières d’écrire

Travailler en vrac, produire de la matière concernant chaque thème. Repousser l’agencement et le montage. Je dois d’abord saisir les choses au vol et non pas obéir à une structure. Décoller et non pas pondre des chapitres-charnière uniquement inféodés à l’avancée d’une intrigue. User de Valentine (la fillette imaginaire) pour contrer et titiller Gj Kallenavne (l’écrivain – tout aussi imaginaire, mais ignorant son état, d’où le tour qui pourrait lui être joué à la fin du récit).

Bibliographie

Non pour la véracité d’une reconstitution historique et géographique, mais pour glaner quelques détails triviaux et autres points de dépliement de saillies imaginatives. La lecture de milliers de pages permet de prélever l’image de sabots de chevaux tranchés par les Aztèques de Tlaxcala et offerts à leurs dieux, ou la volière pleine d’albinos humains de Moctezuma, ou Quintalbor, le sosie de Cortés envoyé par les Indiens, ce genre de choses :

Les Derniers Conquistadors (Gabriel Quiroga de San Antonio)

Civilizations (Laurent Binet)

Le larron qui ne croyait pas au ciel (Miguel Angel Asturias)

Les Conquistadores (Hammond Hines)

Histoire de la conquête du Mexique (William H. Prescott)

L’escadron Guillotine (Guillermo Arriaga)

Puis, à venir, écrits de Hernán Cortés, de Bernal Diaz et de Bernardino de Sahagún ainsi que la partie péruvienne avec Pizarro et la Conquête de l’inutile (Werner Herzog).

Et je viens de recevoir Books of the Brave (Irving. A. Leonard) où l’on parle des lectures des conquistadores et de leur imaginaire.

Tout cela, je le répète, ne sera pas lu dans le but de faire de moi un érudit sur la question, mais de susciter dans mon esprit des étincelles dont mon imagination s’emparera de manière buissonnière. De tout ce fatras s’élèveront des figures bizarres qui seront le vrai sel de mon récit. Des figures dont j’ignore tout au moment de commencer à travailler.

Figure du Conquistador #1